Un changement d’idéologie en matière économique ?

Un changement d’idéologie en matière économique ?

L’économiste Jean-Paul Fitoussi constate, dans une tribune au « Monde », que les dirigeants actuels sont contraints d’aller à l’inverse des politiques d’austérité et de moins-disant social qu’ils ont défendues pendant les décennies précédentes.

Tribune.

 

 Ce que la raison nous a enseigné pendant des décennies semble, dans le contexte de la crise actuelle, faire l’objet d’une franche désobéissance de la part des princes qui nous gouvernent. Deux irrationalités, parmi d’autres, apparaissent surprenantes :

1. A l’origine de leurs migraines étaient déficit budgétaire et dette publique. Ils doivent maintenant admettre que ceux-ci n’avaient pas l’importance qu’ils leur accordaient, et que plus encore, leur creusement peut être de bonne politique. Après tout, ce ne sont que des instruments et pas des fins. Mais une espèce de réflexe conditionné renouvelle soudain leurs migraines : le « comment allons-nous rembourser ? » devient un leitmotiv. Pourtant les deux situations sont radicalement différentes : avant, les contraintes étaient consenties par les princes aux dépens de la société, et aucun déterminisme ne les y obligeait. Aujourd’hui, ils n’ont pas le choix : l’avarice vertueuse ne peut faire bon ménage avec le Covid.

2. La crise les rappelle à l’ordre : leur mission première est de protéger les populations, non de détricoter les systèmes de protection sociale pour les fragiliser. Ils ne peuvent plus poursuivre la course à la compétitivité, entendue comme surenchère sur l’insécurité économique des personnes. Certes, le naturel n’est pas complètement chassé et il leur reste des réminiscences qui démangent leur goût de l’action et leur quête de réputation : poursuivre les réformes du droit du travail, de l’assurance-maladie, de l’assurance-chômage et des systèmes de retraite. Un gouvernement digne de ce nom n’est-il pas celui qui fait accepter à une majorité de personnes ce à quoi… elle s’oppose ? Voila ce qu’il est convenu d’appeler la réforme structurelle, du moins dans le dictionnaire de la novlangue.

Un tour de passe-passe chronologique

Les voici pris à contre-pied : les politiques qui s’imposent aujourd’hui à eux sont celles qu’ils moquaient à gorge déployée tant elles semblaient éloignées de la rationalité enseignée et pratiquée pendant des décennies. La domination des politiques d’austérité ne s’inscrivait-elle pas dans la logique pure de la compétitivité, qui elle-même avait pour résultat – si ce n’est pour projet – d’affaiblir le pouvoir de négociation des salariés, de changer le rapport de force entre travail et capital ?

 

Des salariés précaires, fréquemment au chômage, dont on ose dire qu’ils se comportent en rentiers de la protection sociale – il faut bien justifier l’injustifiable – ont-ils encore l’énergie de vraiment s’opposer ? Des classes moyennes en perdition n’auront jamais les yeux de Chimène pour ce nouveau capitalisme. Et comment le pourraient-elles ? Depuis les années 1990, il n’y a plus eu d’augmentation générale des salaires, même si l’accroissement de certaines rémunérations a dépassé l’entendement. Pour une majorité de gens, aucun progrès ne paraît plus possible, comme si nous étions redevenus pauvres. 

 

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