« La défiance des enseignants vis-à-vis de leur ministre »
Laurent Frajerman, spécialiste de l’engagement enseignant, chercheur au centre d’histoire sociale des mondes contemporaines (Paris-I, CNRS), professeur agrégé d’histoire évoque, dans une tribune au « Monde », l’évolution de l’état d’esprit des enseignants et leur « rejet global » des réformes engagées par Jean-Michel Blanquer.
Tribune.
En lançant le Grenelle de l’éducation, le ministre de l’éducation nationale affichait de grandes ambitions pour redéfinir le métier enseignant. En théorie, il peut s’appuyer sur la préoccupation des intéressés sur l’état du système éducatif et leur demande récurrente de profonds changements. Celle-ci s’accompagne paradoxalement d’une satisfaction dans leur travail pour 71 % d’entre eux, nous rappelle encore une fois le sondage Ipsos pour la FSU sur l’« état d’esprit des personnels de l’éducation nationale et des parents d’élèves », paru le 1er décembre.
Le bilan de Jean-Michel Blanquer et son appétence pour les modèles scolaires du Québec et de Singapour laissent à penser que le ministre aimerait surtout passer d’un modèle de professionnalité dit du « praticien réflexif », autonome et hautement qualifié, à celui du technicien de l’enseignement, qui met en œuvre des protocoles imaginés par des experts, sous le contrôle d’une chaîne hiérarchique renforcée.
Ce projet est inscrit à l’agenda ministériel depuis longtemps, notamment avec le rapport Pochard, dès 2008. Toutefois, les prédécesseurs de M. Blanquer ont échoué à le mettre en œuvre. On notera par ailleurs que celui-ci a euphémisé son discours sur le sujet dans les derniers mois. Le sondage Ipsos/FSU montre en effet clairement l’hostilité de la profession à l’égard de la politique engagée.
Les non-syndiqués plus sévères
Les enseignants du secteur public estiment que les réformes de Jean-Michel Blanquer sont inutiles pour les élèves (71 %), vont dans le mauvais sens (72 %) et en prime augmentent leur charge de travail (75 %). Ce rejet global était évident parmi les enseignants engagés, mais l’opinion des plus modérés, des « jamais grévistes », n’avait pas été testée. Or les non-syndiqués sont plus sévères que les syndiqués dans ce sondage.
Outre leur désaccord avec sa politique, 23 % seulement des enseignants lui font confiance pour prendre en compte leurs attentes. Initialement pourtant, il suscitait de l’espoir quant à sa capacité à mettre en place les réformes nécessaires, pour 45 % des professeurs certifiés et agrégés interrogés en 2018 ; désormais, 73 % de ces derniers jugent que sa politique va dans le mauvais sens. Aucune organisation, Avenir lycéen excepté, n’a pleinement défendu ses réformes. Cette défiance envers le ministre est un handicap pour ses réformes.
La redéfinition du métier est présentée comme une contrepartie aux efforts financiers de l’Etat, rebaptisée démarche « gagnant-gagnant ». Or, le plan annoncé à la mi-novembre par Jean-Michel Blanquer n’est pas vu comme une « revalorisation » par les principaux intéressés (74 % sont « insatisfaits », dont 40 % « pas du tout satisfaits ») ; 78 % d’entre eux jugent essentielle une « autre » augmentation de leur rémunération (et 20 %, qu’elle soit importante).
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