« Protestation contre le harcèlement des journalistes par les avocats des grands groupes»
Quatre-vingt-cinq ONG se mobilisent, dans une tribune au « Monde », contre les Slapp, ces pratiques de harcèlement juridique utilisées par des hommes d’affaires sans scrupule qui visent à intimider les voix critiques en Europe.
Tribune.
Par une chaude après-midi de printemps, à Malte, alors qu’elle arrivait en voiture chez elle, une journaliste vit un huissier de justice en train de scotcher des centaines de documents sur son portail. En dépit des féroces aboiements des deux chiens de garde de la maison familiale, qui tentaient de mordre l’homme à travers les barreaux, celui-ci poursuivait consciencieusement sa tâche.
C’était des assignations à comparaître. Cette journaliste, Daphne Caruana Galizia, devait faire face à dix-neuf procès en diffamation – regroupés dans une seule séance – intentés par un riche et puissant homme d’affaires. Quelques mois plus tard [le 16 octobre 2017], elle trouvait la mort dans un attentat à la voiture piégée.
« Chiens d’attaque »
Nous sommes un groupe d’organisations de sociétés civiles pour lequel cette affaire est la plus choquante des Slapp jamais connues jusqu’à présent – et encore aggravée par le fait qu’elle se poursuit contre son mari et ses trois fils. « Slapp » est l’acronyme de « Strategic Lawsuit Against Public Participation », ce qui signifie « poursuites stratégiques contre la mobilisation publique ».
C’est une forme de harcèlement juridique visant à intimider les voix critiques. De puissants cabinets d’avocats sans scrupule proposent ces services de « chiens d’attaque » à de riches individus ayant les moyens de faire durer des procédures abusives pendant des années, uniquement dans le but d’échapper à un examen public peu souhaitable.
Cet examen constitue la ligne de vie des sociétés démocratiques saines. La Cour européenne des droits humains et d’autres cours nationales et régionales ont constamment et explicitement reconnu l’importance du rôle d’une presse libre et, de manière plus large, de la société civile, afin que les puissants soient tenus pour responsables de leurs actes. Leurs jugements réaffirment l’obligation des Etats de créer un cadre propice à la liberté de parole. Car, sans elle, les démocraties périclitent et meurent.
Les failles qui, dans nos législations, laissent les puissants utiliser la manière forte pour réduire leurs critiques à de la soumission creusent une brèche dans la démocratie européenne. Le continent est constellé d’abus. Le deuxième quotidien de Pologne, Gazeta Wyborcza, a subi plus de cinquante-cinq menaces juridiques et actions en justice de la part d’un certain nombre d’acteurs, dont certains appartiennent au parti au pouvoir, depuis 2015.
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