« La crise climatique n’ est pas une affaire malthusienne »
L’énergie est un phénomène qui s’appréhende mal avec des équations forgées au siècle dernier pour étudier la multiplication des mouches dans un bocal, observe l’historien Jean-Baptiste Fressoz dans sa chronique au Monde .
Chronique.
Le pic est la grande affaire de notre époque : pic de la pandémie, pic de la population mondiale (prédit pour 2050), pic du pétrole (récemment annoncé par BP). Que les émissions de CO2 stagnent en 2019, et voilà poindre l’espoir d’un autre pic salutaire. Cette figure du pic paraît plus naturelle qu’elle ne l’est en réalité. Que des phénomènes disparates s’y conforment repose sur différentes hypothèses : par exemple que les processus en question passent bien par un pic et non plusieurs, ou que la phase de croissance soit bien suivie d’un reflux de même ampleur. Ce sont ces caractéristiques qui confèrent au pic sa vertu prédictive et salvatrice.
L’omniprésence actuelle du pic n’est pas sans rappeler la période de l’entre-deux-guerres. On scrutait alors avec angoisse les courbes de mortalité (de la grippe espagnole entre autres), mais surtout celles des naissances : en 1927, un Congrès mondial de la population réunit, à Genève, le gratin des néomalthusiens – dont John Maynard Keynes, Raymond Pearl, Julian Huxley et Margaret Sanger – pour discuter du pic de population et des moyens de le hâter.
C’est aussi à cette époque que les biologistes établissent les lois mathématiques gouvernant la croissance et l’effondrement des populations. Raymond Pearl, en étudiant les mouches drosophiles dans un bocal, démontre que leur nombre suit une courbe en S (ou logistique) : une croissance lente, puis rapide, suivie d’un point d’inflexion et d’une asymptote. Et il ne s’arrête pas là. Dans The Biology of Population Growth (1925, non traduit), Pearl fait suivre son étude sur les mouches d’une seconde, portant sur la démographie de l’Algérie. Verdict logistique : la population de ce pays culminera à 5,5 millions d’habitants…
La courbe en S s’appliquerait aussi à l’économie. La croissance exponentielle de la consommation de charbon qui a prévalu au XIXe siècle ne peut perdurer : « Le volume de la planète est strictement limité (…) et il n’est pas besoin de projeter la consommation de houille loin dans le temps avant qu’elle n’atteigne un point où son tonnage correspondrait à un globe entièrement composé de charbon » (Raymond Pearl, Studies in Human Biology, 1924, non traduit). Les néomalthusiens conçoivent la Terre à l’instar d’un bocal au sein duquel l’humanité commence à se sentir à l’étroit. Et ces limites planétaires pourraient produire un chaos immense dont la première guerre mondiale n’a donné qu’un avant-goût.
0 Réponses à “« La crise climatique n’ est pas une affaire malthusienne »”