Coronavirus : » Se préparer à une troisième vague » (L’épidémiologiste Renaud Piarroux)
De la même manière que rien n’a été prévu pour tenter de contrôler la seconde vague, il se pourrait bien que la France soit tout autant désarmée par rapport à la possibilité d’une troisième vague. C’est en tout cas l’avis de l’épidémiologiste Renaud Parrioux, , chef du service de parasitologie du CHU de La Pitié-Salpêtrière (AP-HP) qui n’exclut pas cette troisième phase. (Interview dans le JDD)
Pourquoi le premier déconfinement a-t-il échoué?
Le gouvernement n’a pas réussi à faire comprendre qu’il y aurait une deuxième vague si la population se relâchait trop. Notamment à cause de certains scientifiques très écoutés et très relayés qui ont répété qu’il n’y allait pas en avoir. Ça a été très compliqué de se faire entendre dans ce contexte. Il fallait réagir dès le mois d’août – la courbe des cas était encore basse mais elle progressait vite – et appuyer sur le frein non pas à partir d’un certain nombre de cas, mais dès le moment où ce nombre augmentait. L’objectif était de préserver l’économie, mais qu’a-t-on préservé, quand on voit où on en est aujourd’hui?
Toute l’Europe est touchée, aurait-on vraiment pu éviter cette deuxième vague?
On l’aurait subie de toute façon, même si on avait réussi à maintenir les cas à un niveau plus bas, comme en Autriche ou en Allemagne. Mais au moins, ces pays ne sont pas submergés ; ils peuvent adopter des mesures plus facilement acceptables par leurs populations. Nous, nous sommes parmi les plus mal engagés. En Europe, c’est un choix collectif que de laisser les frontières de l’Union ouvertes et de vivre avec le virus, contrairement à d’autres pays, comme la Nouvelle-Zélande, qui agissent vite et fort dès les premiers cas. Et ce choix accroît le risque de subir des vagues successives avant de parvenir à un éventuel équilibre.
Quelle a été la plus grosse erreur française?
On a raté l’élément clé que d’autres pays ont réussi: la limitation de la transmission autour de chaque cas positif. Ce processus consistant à identifier les cas contact rapidement pour briser les chaînes de contamination – le traçage – a été trop lent et pas assez exhaustif. Aujourd’hui, le système est un peu plus rapide mais il identifie trop peu de cas contact. C’est une question de confiance et de motivation qu’on n’a pas su donner aux personnes contaminées. Enfin, il y a une aversion de la population à s’isoler. Les moyens mis en œuvre sont très insuffisants: aujourd’hui, les gens sont enjoints à s’isoler par SMS. Mais la grande erreur serait de virer à l’autoritarisme. Si on commence à dire: « Quand vous êtes dépistés, restez chez vous et on va contrôler », c’est très simple: les gens n’iront plus se faire dépister.
Où est-ce qu’on a péché dans le traçage?
L’outil utilisé n’était pas optimal. Le conseil scientifique s’était pourtant prononcé en faveur d’équipes mobiles pour l’effectuer. Mais lors du déconfinement, le gouvernement a décidé que l’Assurance maladie s’en chargerait par téléphone. Seul point positif, on partait alors du médecin généraliste pour entrer dans le dispositif. Sauf qu’ensuite on a appliqué une politique de chiffres sur les tests en les proposant en libre-service et sans ordonnance, fin juillet. De ce fait, les généralistes n’étaient plus dans la boucle. À partir de là, on a perdu en efficacité et les laboratoires se sont retrouvés engorgés.
Pourquoi la situation s’est-elle autant améliorée à Paris?
Même si on n’a pas pu le faire comme on le voulait, l’AP-HP a développé dans la capitale une démarche de « contact tracing » avec des équipes mobiles et une présence humaine plus forte, grâce au dispositif Covisan. La réflexion sur ce concept d’isolement a été plus poussée. Il a été décliné en accompagnement plus qu’en coercition. On a pu aider les 40 000 personnes suivies par Covisan, en leur expliquant clairement les nécessités de l’isolement et en leur apportant des conseils. C’est peu, mais ça a contribué à aplanir la courbe épidémique, qui a progressé moins vite.
Comment réussir le prochain déconfinement?
Le taux de reproduction effectif, c’est-à-dire le nombre de personnes contaminées par une personne infectée, doit être stabilisé en dessous de 1. Pour cela, on doit mener des actions de terrain. Il faudrait encourager l’ouverture d’antennes de type Covisan partout en France, où l’on ferait des tests, du « contact tracing » et de l’accompagnement personnalisé. La clé, c’est d’expliquer aux patients et à leurs contacts l’intérêt de prendre les précautions tout de suite afin d’éviter de contaminer leur famille, leurs amis, leurs collègues. Et ce n’est pas qu’une histoire d’isolement. Si une personne est seule, comment fait-elle pour les courses? Ce sont des choses simples pour lesquelles les gens doivent être conseillés.
Comment monter de tels centres?
Je propose la mise en place rapide d’un groupe de travail opérationnel sur ces questions. Il faudrait former des chefs de centres qui fonctionneraient comme des « franchises » adaptées aux territoires. Des locaux doivent être trouvés. Des mairies parisiennes en ont fourni, d’autres peuvent le faire. Trouvons du personnel et formons-le à ces différentes fonctions. L’Assurance maladie doit continuer son travail en assurant le lien avec ces centres. Ce sont les acteurs principaux du « contact tracing » sur l’ensemble du territoire, qu’ils accompagnent ce changement et s’ouvrent à d’autres approches! Chaque jour qui passe où l’on ne se prépare pas est un jour de perdu. Parallèlement, il faut continuer tout ce qui n’est pas contraignant: favoriser le télétravail et l’étalement des heures de travail. Faute de quoi, nous subirons à nouveau un tour de vis sur nos libertés.
Faut-il s’attendre à une troisième vague?
Il faut espérer qu’il n’y en aura pas mais s’y préparer quand même. Il subsiste toujours des inconnues. On ne sait pas à quel point les températures influent sur ce virus ni si sa propension à diffuser dans les prochaines semaines sera forte ou très forte. Actuellement, les territoires les plus froids de France sont les plus touchés. Mais en hiver, on aura probablement plus de personnes immunisées. Si des moyens suffisants sont mis en place, peut-être oscillera-t-on enfin autour d’un nombre de cas gérable sans connaître de troisième vague.
Peut-on vivre avec ce virus ou faut-il l’éradiquer comme cherchent à le faire certains pays d’Asie?
On ne peut pas vivre avec des hôpitaux pleins. C’est impossible de déprogrammer éternellement des activités de soin importantes. Ce coronavirus fait plus de dégâts que la grippe. On ne peut pas vivre avec. Il faut s’en débarrasser. Cela nécessite une réponse internationale adaptée, une participation de la population et, surtout, un vaccin efficace.
0 Réponses à “Coronavirus : » Se préparer à une troisième vague » (L’épidémiologiste Renaud Piarroux)”