Impôt sur les bénéfices extraordinaires ?

Impôt sur les bénéfices extraordinaires  ?

 

 

L’économiste Pierre-Cyrille Hautcœur, Directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris,  rappelle, dans sa chronique au « Monde », que la forte taxation des « bénéfices extraordinaires » pendant les deux guerres mondiales avait atténué le sentiment d’injustice.

Chronique.

 

Pour remédier au sentiment d’injustice qui croît chaque jour et se nourrit de l’impact manifestement très favorable de la pandémie de Covid-19 sur certaines activités comme le numérique ou la grande distribution aux dépens des petites entreprises, la mise en place exceptionnelle d’un impôt sur les « bénéfices extraordinaires de pandémie » mériterait d’être considérée sérieusement.

Pendant la Grande Guerre, déjà, les citoyens comparaient le sort de ceux qui combattaient en première ligne avec celui des « profiteurs de guerre », dont les produits raréfiés voyaient leurs prix s’envoler, ou bien bénéficiaient de marchés publics passés dans l’urgence.

En France, les scandales liés aux fournitures d’armement durant la guerre de 1870 avaient suscité la mise en place d’une « commission de révision des marchés de guerre », mais ses résultats avaient été jugés insuffisants. Cela conduit dès 1915 le Parlement à envisager une mesure plus large : un impôt sur les bénéfices extraordinaires de guerre. Expérimentée lors de la guerre de Sécession américaine par l’Etat (confédéré) de Géorgie, cette mesure est adoptée par le Royaume-Uni en décembre 1915, par la France le 1er juillet 1916 et par les Etats-Unis en 1917.

Une mise en œuvre difficile

Le principe est partout le même : comparer les bénéfices de la période de guerre (de manière rétroactive au 1er août 1914 en France) aux bénéfices « normaux » des années précédentes, ou le cas échéant à une rémunération « normale » du capital engagé. Le taux d’imposition, initialement de 50 % en France et en Grande-Bretagne, est rapidement augmenté et devient progressif pour épargner les PME : le taux marginal atteint finalement 80 % dans les trois pays.

Si l’adoption de cette loi est aisée en France (par 472 voix contre 3 à la Chambre), sa mise en œuvre est difficile. En effet, il n’existe pas encore d’impôt sur les bénéfices : l’impôt sur le revenu adopté en 1914 comporte bien une cédule consacrée aux « bénéfices industriels et commerciaux », mais sa mise en place a été reportée à la fin de la guerre.

L’administration fiscale n’a donc pas d’expérience d’évaluation des bénéfices, hormis celle, limitée, de l’établissement de la patente. La construction d’une administration compétente ne sera vraiment réalisée qu’après la guerre, retardant le paiement de l’impôt puisque le choix est fait (jusqu’en 1918) de ne demander son versement qu’après vérification de la déclaration du contribuable par l’administration.

 

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