Hydrogène : une utopie ?

Hydrogène : une utopie ?

Le débat sur les politiques énergétiques n’est pas forcément facile à comprendre compte tenu de sa complexité. Nombre d’experts tentent d’apporter un éclairage sinon objectif au moins indépendant tandis que d’autres évidemment sont  influencés par certains lobbies. Deux articles rendent compte des points de vue parfois opposés concernant l’hydrogène. Le second ci-dessous est celui de  Samuele Furfari, Professeur en géopolitique de l’énergie à l’Université Libre de Bruxelles, Docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB), et Président de la Société Européenne des Ingénieurs et Industriels.

(Article de la tribune)

 

La Commission européenne a  présenté sa stratégie sur l’hydrogène . Elle explique comment faire de l’hydrogène « propre » une solution viable pour une économie climatiquement neutre et construire une chaîne de valeurs dynamique de cette ressource en Europe au cours des cinq prochaines années. Elle calque ainsi l’Allemagne qui a lancé sa stratégie hydrogène il y a un mois.

Alors que les investissements en faveur de l’électricité d’origine renouvelable intermittente dans l’Union européenne (UE) ne suivent pas le rythme souhaité, des États membres poursuivent leur fuite en avant avec une solution mort-née. Pour rappel, lorsque l’UE et ses États membres parlent d’énergies renouvelables, ils ont en tête « éolien » et « solaire photovoltaïque », tout le reste étant démontré par les investissements comme étant marginal et sans intérêt environnemental. Pour eux, le fleuron des énergies renouvelables, permanentes, contrôlables, économiques et propres qu’est l’hydroélectricité est ainsi un sujet tabou. La production d’énergies éolienne et solaire étant par nature intermittente, en cas d’insuffisance de demande , l’excès doit être écoulé en payant pour s’en débarrasser, et ce coût est supporté par nous tous (voir La Tribune du 3 mars 2020). La solution serait de pouvoir stocker cette énergie, mais les promesses utopiques des politiciens et de certains industriels en matière de batteries n’ont pas et ne seront pas tenues pour des raisons intrinsèques liées à l’électrochimie.

Il ne reste plus qu’une solution : transformer par électrolyse de l’eau ce surplus d’électricité dont personne ne veut en hydrogène pour ensuite soit l’utiliser comme combustible soit le retransformer en électricité dans des piles à combustibles. C’est le rêve : une électricité propre produisant une énergie propre qui ne produit que de l’eau quand elle est consommée et qui permettra une diversification avec le véhicule électrique au cas où cette autre illusion ne ferait pas non plus long feu ! Qu’on se le dise, même les trains fonctionneront à l’hydrogène ! Cela dépasse de loin l’utopie des biocarburants, imposés en dépit du bon sens et des données scientifiques, et dont l’écho de l’échec reste fort discret. En 2008, à l’époque de la présidence Sarkozy, l’UE avait décrété une production de 10% de biocarburants pour le transport à l’horizon de 2020. Elle est maintenant passée d’un « minimum » à un « maximum » peu honorable, coûteux et polluant. A supposer que les opérations d’électrolyse et de pile à combustible aient chacune un rendement industriel de 80%, on aura perdu dans l’opération 36% de l’énergie injectée (0,8 x 0,8 =0,64).

La première référence à l’hydrogène que j’ai trouvée dans les rapports de la Commission européenne remonte à 1972, soit avant la première crise pétrolière. Le Journal des Ingénieurs de 1979 (n°2 – page 11) disait exactement tout ce qu’on dit aujourd’hui… avec les mêmes conditionnels. Lorsque je m’occupais de la transformation du charbon en pétrole – parce que le bruit courait qu’il n’y aurait bientôt plus de pétrole ! -, j’ai beaucoup travaillé sur l’hydrogène, élément essentiel dans cette synthèse. Ensuite ce fut en 2003 le énième retour avec cette fois comme « propandistes » le tandem Prodi-Bush. Hélas, depuis lors, aucun changement n’est intervenu, et jamais n’interviendra, car tout dépend des équations chimiques et de la thermodynamique qui régissent toute la question de l’hydrogène. Mais les politiciens n’ont que faire de la chimie, pour eux, la méthode Coué suffit : vouloir c’est pouvoir.

Mais alors quoi de neuf pour l’hydrogène ? De la propagande politicienne, du rêve et rien d’autre.

Voici les faits scientifiques. L’hydrogène est une substance chimique produite à partir de gaz naturel selon un procédé banal et répandu dans le monde entier, appelé « vapocraquage ». Cette molécule est utilisée massivement par l’industrie de la pétrochimie et de toute la chimie qui en découle, principalement pour la production d’engrais. Avec une démographie mondiale croissante, la demande d’hydrogène pour la production de fertilisants agricoles croitra au rythme des nécessités alimentaires. Cette molécule de base déjà très recherchée le deviendra de plus en plus. Grâce à cette véritable surprise en matière de géopolitique de l’énergie qu’est le gaz naturel, son marché global est de plus en plus compétitif et fluide ce qui se traduira par une réduction de son prix sur les marchés internationaux. Il faut donc prévoir une diminution du prix de production de l’hydrogène, d’une part parce que la matière première sera moins chère et d’autre part parce que le marché s’élargit.

Cependant, sa production à partir d’énergies renouvelables revient par contre beaucoup plus cher et est compliquée. Selon la Commission européenne, « les coûts estimés aujourd’hui pour l’hydrogène d’origine fossile sont d’environ 1,5 €/kg dans l’UE, [...] de 2,5 à 5,5 €/kg » pour l’hydrogène « vert ». On observera la marge qui est un signal… politique ! Malgré les promesses répétées depuis des décennies de coûts plus bas des énergies renouvelables alors que la réalité de votre facture d’électricité affirme l’inverse, l’hydrogène « vert » restera toujours plus cher que celui produit par le gaz naturel.

 

Puisqu’un produit ne peut avoir qu’un prix dans un marché ouvert, l’hydrogène « renouvelable » devra être subsidié tant qu’il y aura du gaz naturel disponible, c’est-à-dire pendant au moins un siècle. Bien entendu, certaines industries profiteront de l’aubaine de la stratégie hydrogène – comprenez la manipulation du marché par la politique – , comme d’autres l’ont fait à l’époque des biocarburants ; elles bénéficieront de prix garantis et d’une image verte, bien entendu sur le dos des contribuables/consommateurs. Il n’est donc pas surprenant qu’elles aient le 10 mars dernier conclu avec la Commission européenne une alliance, comme l’ont fait d’autres pour les batteries… et les biocarburants.

Par ailleurs, de nouveau sur un marché global – sauf à vouloir créer un vaste marché de contrebande -, l’hydrogène a pour vocation d’être utilisé en chimie et non pas comme combustible. Brûler de l’hydrogène à des fins énergétiques, c’est comme se chauffer en brûlant des sacs Louis Vuitton. Inévitablement, tout hydrogène produit finira dans la chimie et non pas dans les moteurs des véhicules. Passe encore que l’UE endoctrinée pense à le faire, mais dire avec l’Agence Internationale des Énergies renouvelables (IRENA) que c’est « une opportunité stratégique pour verdir la relance mondiale » est inadmissible pour une institution internationale quand elle sait pertinemment bien que seul 35% des Africains sont connectés au réseau électrique. Et IRENA voudrait produire de l’hydrogène à partir de leur excès d’électricité ! C’est abracadabrant, c’est indigne, c’est éthiquement insupportable.

Le comble, c’est que pour vendre du gaz qui produirait en rien moins de CO2, les Russes de Gazprom promettent d’injecter de l’hydrogène dans le gaz naturel qu’ils vendront à l’UE – à l’Allemagne principalement. Cela revient à injecter du Clos Vougeot dans de la piquette pour mieux écouler cette dernière, ce qui est plutôt grotesque.

Souvent dans la vie, lorsque l’on fait une bêtise, on en commet une autre afin de cacher la première. C’est ce qui se passe avec l’hydrogène. Il est consternant de devoir constater l’entêtement et l’endoctrinement verts dans lesquels est tombé le monde politique européen.

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(*) Dernier ouvrage de Samuele Furfari : «Énergie 2019: Hystérie climatique et croissance des énergies fossiles

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