« Mouvements décoloniaux , du conformisme intellectuel»
Gil Delannoi, professeur à Sciences Po, dénonce dans l’Opinion une nouvelle « norme du bon, du bien et du beau »
Chercheur au Cevipof, le politologue Gil Delannoi a été invité dans de nombreuses universités internationales.
Comment expliquer la montée en puissance des mouvements décoloniaux au sein de l’université française ?
C’est un aspect d’un mouvement plus vaste qui traverse les universités occidentales : la méthode hypercritique se signale par les préfixes « dé ». Ce n’est pas seulement universitaire. Dans les polémiques françaises, on retrouve l’opposition Mediapart contre Charlie Hebdo. L’explication par l’internationalisation du système universitaire est plus globale. Un nouveau « mainstream » déconstructeur, obsédé par les marqueurs identitaires, est parti des campus américains. Sa présence grandissante apparaît clairement dans toute synthèse ou moyenne des travaux universitaires de la dernière décennie. Fonctionnant comme un marché de l’offre et de la demande de produits conformes aux nouvelles normes du bon, du bien et du beau, ce système mondial produit du conformisme intellectuel et de la concentration monopolistique, à l’image du marché des biens lui-même. Il est intéressant de comparer la divergence entre un mouvement de remise en cause de la notation scolaire, supposée inégalitaire, et la frénésie crédule avec la laquelle sont accueillies les évaluations par les pairs, les classements des universités. Pris dans une logique de management, le monde universitaire se dispute lui aussi des parts de marché. Ce qui est plus académique hélas, c’est la volonté de censure, « cancel culture », cette dénonciation sans fondement.
Au point que toute discussion, toute critique sont interdites ?
Cette agressivité n’est pas nouvelle. C’était la complaisance pour le communisme à une certaine époque, les adversaires étant qualifiés d’« anti », de « réacs », de « fascistes ». Cette manie de la restriction, de la simplification, de la délation s’étend désormais à des sujets de plus en plus nombreux. Cela ne signifie pas qu’une majorité adhère à cette vision dénonciatrice, mais il semble que l’approche critique sereine, libre de toute crainte de réprimande, sans autocensure mais avec modestie, fasse assez souvent défaut sur ces questions. Quand on a réclamé des radiations ou suspensions sans les obtenir, on n’a pas assisté à d’importants remous. Voilà le rapport avec Charlie Hebdo, le « ils l’ont bien cherché ». Vouloir toucher à des sujets totem ou tabou expose à la violence verbale ou à la mise à l’écart. En 2005, au cours de l’une des premières attaques de ce type, Olivier Pétré-Grenouilleau, historien des traites négrières, fut accusé de « négationnisme » par un collectif qui demandait sa suspension,
L’uniformisation de l’éducation entre-t-elle aussi en jeu ?
L’éducation devient en effet un marché comme un autre, soumis à certains effets de la mondialisation. Le contenu des enseignements s’uniformise. Ajoutons, pour faire bonne mesure, que le conformisme ne se limite pas à l’expression des extrêmes ou des radicalités. Après un cours que j’avais donné en anglais, des étudiants américains me disaient avoir aimé un exposé de la diversité des points de vue qu’ils ne rencontrent plus sur leurs campus. Mais pourquoi ? Il y a une vingtaine d’années, The Economist prenait une position cynique ou résignée, concluant qu’il fallait abandonner les sciences sociales et les humanités à leur déconstruction du monde, mais tenir bon en économie et dans les relations internationales. Ironie de l’histoire : il semble que certains de ces anciens étudiants abandonnés écrivent désormais les éditoriaux.
Tous les commerces sont essentiels face à Amazon
Le sociologue Vincent Chabault estime, dans une tribune au « Monde », que les commerces spécialisés constituent un repère du quotidien, en particulier pour les
Tribune. L’incompréhension règne. Les commerçants spécialisés sont une nouvelle fois contraints de fermer leurs portes dans le cadre de ce reconfinement automnal. Si certains ont pu maintenir leur activité au côté du commerce alimentaire comme les magasins informatiques, l’action des fédérations de commerçants a par ailleurs entraîné la fermeture inédite des rayons de produits considérés comme non essentiels dans les grandes surfaces, plongeant distributeurs et fournisseurs dans un état de stupéfaction.
De leur côté, les plates-formes du e-commerce se frottent les mains. Pour le commerce spécialisé, l’effondrement de l’activité durant le premier confinement a entraîné un désarroi et des difficultés économiques inédites que les crédits de trésorerie, les reports de charge et les liquidités du fonds de solidarité mis en place au printemps n’ont pas intégralement couvertes.
Ces professionnels du commerce – magasins de centre-ville et grandes surfaces spécialisées –, confrontés aujourd’hui à ce qu’il convient d’appeler une double peine, ont pourtant tous appliqué le protocole sanitaire dès le 11 mai. Le port du masque, la mise à disposition du gel, l’installation de Plexiglas, la désinfection des produits et divers aménagements visant au respect de la distanciation physique ont été leur quotidien et aucun foyer de contamination n’a été observé en boutique.
Un repère quotidien
Au-delà de l’approvisionnement, ces professionnels ont cherché à maintenir une relation à l’ère du sans-contact. Les identifier comme « non essentiels » constitue aujourd’hui un affront tant ils jouent un rôle important dans la société et dans l’existence des individus. Comme le café, les magasins sont le support de « relations de surface », selon l’expression de l’anthropologue Marc Augé, des petits liens sans véritable enjeu mais éminemment utiles à la cohésion sociale.
Ces magasins constituent un repère du quotidien, en particulier pour les personnes vivant seules. Rappelons que 51 % des Parisiens, 49 % des Lyonnais et 46 % des Niçois font l’expérience de la solitude. La sortie et la rencontre, même fugace, avec le commerçant de proximité constituent parfois la seule interaction quotidienne.
Fermer les librairies, les magasins de jouets ou de maroquinerie ne fait pas qu’assécher économiquement ces points de vente pour lesquels les achats de Noël sont déterminants. Cette décision nie tout simplement le rôle d’intégration de ces lieux d’échange et, parfois, de convivialité.
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