Hydrogène : les limites ?
La peur du déclassement industriel induit en France un réflexe qui tient parfois du complexe d’infériorité, estime, dans une tribune au « Monde », le géoéconomiste Nicolas Mazzucchi.
Tribune. L’annonce, de la part d’Airbus, de la mise en production d’un avion à hydrogène à l’horizon 2035 pourrait, de prime abord, s’apparenter à une victoire dans la volonté du gouvernement français d’entraîner nombre de grandes entreprises dans son plan hydrogène. Toutefois, en y regardant de plus près, il semble plutôt qu’il s’agit là d’une fuite en avant technologique.
L’hydrogène est à la mode. Depuis deux ans, se multiplient les stratégies nationales pour le développement des différentes étapes de la chaîne de valeur industrielle de ce gaz (production, stockage, transport, utilisation), certaines plus pragmatiques et claires que d’autres. Cette « vogue » de l’hydrogène succède à celle des batteries du milieu des années 2010, elle-même postérieure à celle de l’éolien des années 2000, etc.
Une technologie « de rupture » en chasse une autre à un rythme toujours plus rapide. Toutefois, rien ne semble réellement fait – en France – pour analyser le rapport entre le besoin et les finalités réelles. Avec un socle électrique décarboné, l’hydrogène a-t-il réellement un sens dans nombre d’usages, lui dont l’empreinte environnementale est tout sauf nulle ? Avec une électricité reposant peu sur des sources intermittentes, y a-t-il une urgence sur les batteries de grande capacité ? Au contraire, peu de discours et d’investissements retentissants portent sur les questions de résilience du réseau, de cybersécurité des systèmes de pilotage ou de mise à niveau des parcs électronucléaire et hydraulique, lesquels représentent pourtant près de 90 % de la production électrique nationale.
La question n’est au fond pas l’hydrogène ou les batteries, ni même le stockage d’énergie dans son ensemble. Il s’agit en réalité de penser – et surtout de décider – l’orientation globale de nos sociétés, au travers du volet industriel. L’absence criante de prise en compte de l’ensemble de la chaîne de valeur, depuis le processus minier jusqu’au démantèlement et au recyclage, induit des erreurs d’appréciation qui se révèlent catastrophiques par la suite.
Alors que l’Union européenne tire la sonnette d’alarme depuis des années sur les enjeux liés à l’approvisionnement du continent en métaux stratégiques, en particulier pour les batteries (lithium, cobalt, etc.), cette donnée, pourtant fondamentale, ne semble que bien peu entrer en ligne de compte dans l’improbable alliance européenne des batteries. L’hydrogène risque bien, lui aussi, de se retrouver confronté aux mêmes enjeux dans la production (électrodes pour l’électrolyse de l’eau) ou le transport (alliages spéciaux pour les pipelines spécialisés). Le recyclage des métaux, enjeu stratégique majeur, demeure au mieux limité, au pire oublié.
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