Le plan de relance « justifié » (Jean Pisani-Ferry )
L’économiste Jean Pisani-Ferry estime que le plan de relance se justifie, pour le moyen terme, afin de remédier à la vulnérabilité de l’industrie française. Elle a augmenté avec la crise alors que l’Allemagne s’en sort mieux et que l’Asie de l’Est est épargnée (interview dans l’Opinion
L’économiste Jean Pisani-Ferry.
Comment redonner confiance — le carburant de l’économie — quand la situation sanitaire inspire autant de craintes ?
Il n’y a pas de recette miracle. Avec ce choc, on peut craindre une érosion générale de la confiance. A l’égard de l’exécutif, elle a été entamée par les ratés sur les masques, les tests, l’application StopCovid. Pour répondre à cette défiance, il faut être aussi transparent que possible sur la situation, les choix possibles, leurs conséquences. Il faut dire ce que l’on sait, pas plus. Mercredi soir d’ailleurs, le président de la République n’était pas dans l’emphase, ni dans les grands projets, il a parlé de manière concrète, précise, il a reconnu l’incertitude dans la durée. Mais on doit faire plus, par exemple améliorer l’information. Les bulletins de Santé publique France délivrent des données brutes de manière brouillonne, alors qu’il faudrait les pondérer et les nettoyer pour en tirer des indicateurs pertinents.
Le plan de relance est-il toujours pertinent ?
La priorité doit aujourd’hui aller au soutien des entreprises et des ménages les plus fragiles. Il faut refaire, en l’adaptant, ce que l’on a fait ce printemps. Notre économie a montré une bonne résilience, avec la reprise de l’été. Maintenant, il est nécessaire de cibler les politiques sur les victimes de ce nouveau choc : d’abord la minorité des ménages qui n’a plus ni revenu, ni épargne, et se trouve en détresse. Les indépendants, les CDD, les intérimaires sont dans une situation très tendue. Et il faut ensuite soutenir les entreprises les plus fragilisées par cette seconde lame, en prenant en charge de manière ciblée leurs coûts fixes, comme les loyers ou les achats. Les Allemands l’avaient fait dès ce printemps. Ces problèmes sont encore d’étendue limitée : en général, les entreprises ont toujours du cash, grâce aux prêts garantis par l’Etat. Plus tard cependant, elles pourront se trouver en situation d’insolvabilité et il faudra restructurer leurs dettes et réinjecter des fonds propres. Il faut préparer les outils.
« En avril, l’activité a chuté de 30 %. Cette fois, la récession sera nettement moins forte »
Le volet compétitivité du plan de relance, avec notamment la baisse des impôts de production, est-il pertinent ?
Le gouvernement a présenté son plan et celui de l’Europe comme d’inspiration keynésienne et d’application immédiate. En réalité, ils ont été conçus comme des actions de moyen terme. Au mieux, 10 % du plan européen arrivera en 2021. Mais l’un et l’autre se justifient face au risque d’affaissement de l’économie française. L’Asie de l’Est est complètement épargnée par la crise. Elle progresse en termes d’innovations et de productivité. En Europe, l’Allemagne s’en tire mieux que la France ou les pays du Sud. La vulnérabilité de l’industrie française s’est accrue : le volet compétitivité reste pertinent pour demain.
Et le « quoi qu’il en coûte » ?
D’abord, ce nouveau confinement entend limiter les dégâts économiques en laissant les écoles ouvertes, même si ce n’est pas la seule motivation au maintien de leur fonctionnement. Désormais, on sait mieux préserver la santé au travail, les protocoles sanitaires sont au point, on organise mieux le télétravail. En avril, l’activité a chuté de 30 %. Cette fois, la récession sera nettement moins forte. Le « quoi qu’il en coûte » reviendra moins cher, car moins de salariés seront en chômage partiel. Mais il ne faut pas se cacher qu’il y aura un sujet de finances publiques. On pensait ajouter 20 points de PIB à la dette publique. Ce sera davantage. La bonne nouvelle est que les outils européens sont en place, tant du côté de la Banque centrale européenne que du plan budgétaire, qui doit toutefois être voté. Il faut donc continuer le soutien à l’économie aussi longtemps que nécessaire.
Sommes-nous condamnés au triptyque confinement, déconfinement, reconfinement ?
Ce que nous vivons actuellement ne devrait pas durer au-delà de l’été 2021. Nous faisons des progrès dans le traitement, la mortalité a baissé, sauf aux âges très élevés. Les tests antigéniques vont se mettre en place, des vaccins vont finir par arriver. Cependant la récurrence d’événements extrêmes est plus forte qu’on ne le croyait. Avec la crise financière de 2008, c’est la seconde fois, en peu de temps, que se produisent des phénomènes habituellement séculaires. A cela pourraient s’ajouter des sujets climatiques ou d’autres sujets sanitaires.
Comment mieux prendre en compte ces événements récurrents ?
Il faut une appréhension du risque différente, et donc une politique plus réactive que ce qu’on a fait depuis des décennies. Aujourd’hui, il faut maintenir le quoi qu’il en coûte, continuer de suspendre le Pacte de stabilité tant que l’activité n’est pas revenue à son niveau de 2019. C’est ce que j’appelle une stratégie contingente. Les élections allemandes, en septembre 2021, présentent un risque : les partis veulent que le budget de 2022 soit établi sur la base de l’habituelle règle allemande, un déficit structurel de 0,35 % du PIB. Je ne pense pas que cette idée soit maintenue, vu le nouveau contexte, mais il faut rester vigilant. A l’inverse, il faudra demain savoir réduire fortement le montant de la dette pour s’armer en prévision de la prochaine crise. Ce dont nous n’avons pas l’habitude en France. Ce choc, il faudra bien le payer. Comment le faire, hausse des impôts ou baisse des dépenses, ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui, mais ce sera l’un des enjeux de la présidentielle de 2022.
« Les phénomènes de fragilité sociale, psychologique m’inquiètent le plus. La désocialisation, la solitude absolue sont renforcés et vont faire des victimes »
Quels sont les changements majeurs induits dans notre société ?
Les phénomènes de fragilité sociale, psychologique m’inquiètent le plus. La désocialisation, la solitude absolue sont renforcés et vont faire des victimes. Il faut être très attentif à cela. Quant aux mutations économiques, il y a deux écoles : ceux qui tablent sur des changements durables et en profondeur, et ceux qui pensent que la crise est une parenthèse et que l’envie de se comporter comme avant reviendra vite. Il y a forcément un peu des deux.
Les prévisions économiques ont-elles toujours un sens ?
Pas les prévisions habituelles. Mais notre service public de la statistique, l’Insee et la Dares, a réinventé l’analyse en temps réel. Dès mars, l’Insee a chiffré la chute d’activité quand beaucoup de ses homologues européens ne le faisaient pas. Ils ont pris le risque de regarder les choses autrement, par exemple à travers la consommation d’électricité, les données bancaires, celles de Google. Il y a aussi une évolution de l’analyse : on raisonne différemment sur l’offre et la demande, sur l’interaction entre l’économique et le sanitaire. En économie, cette crise est l’occasion de grands progrès conceptuels et méthodologiques.
0 Réponses à “Le plan de relance « justifié » (Jean Pisani-Ferry )”