« L’intégrisme, produit d’aveuglements volontaires »( Raphaël Glucksmann )
Où avons-nous failli ? s’interroge l’eurodéputé philosophe du groupe social-démocrate Raphaël Glucksmann, dans une tribune au « Monde » relevant l’échec des deux gauches, celle qui place l’antiracisme au-dessus de tout minimisant l’intégrisme et celle qui le dénonce mais élude les ségrégations structurelles.
Tribune.
Il est dans la vie des nations des moments de bascule, des nuits noires que les bougies aux fenêtres ou les hashtags compatissants n’éclairent plus. La décapitation de Samuel Paty nous plonge dans l’une de ces nuits. Le lynchage dont il fut la victime sur les réseaux sociaux et les complicités dont bénéficia son bourreau nous effraient. Sa solitude face à la haine qui préparait le crime nous fait honte. La carence de nos institutions nous fait peur. Nos manifestations post-mortem ne procurent plus ni remède, ni catharsis.
Lorsque le surgissement du mal radical ébranle nos architectures mentales et fracture nos habitats intellectuels, seuls subsistent l’exigence de vérité et l’impératif de sincérité, la parrêsia – ou le « franc-parler » – que les Athéniens placèrent au fondement de leur démocratie et que Foucault explora dans ses derniers cours au Collège de France. La parrêsia, c’est le risque pris de la vérité, le discours qui met en péril le locuteur, l’auditeur et le lien qui les unit. Une manière d’être et de dire qu’une classe politique rentière et pavlovienne pratique peu. Et qui aujourd’hui est inévitable.
La douloureuse vérité, donc, est que nous avons failli. Individuellement et collectivement failli. A nos principes comme à nos devoirs. La vérité est que l’intégrisme islamiste a bénéficié d’une myriade d’aveuglements volontaires et de silences gênés. La vérité est que des progressistes chevronnés ont trop souvent partagé la tribune avec d’insupportables bigots, trop longtemps toléré les intolérants. Pourquoi ? Par mauvaise conscience sociale et historique. Par crainte de n’être plus que des bourgeois parlant à des bourgeois. Par impuissance face aux relégations et aux discriminations. Par mémoire des crimes coloniaux. Par confort aussi. Et lâcheté, sans doute.
Gauche borgne
La vérité, si l’on va au bout et si l’on est prêt à se fâcher avec tout le monde, y compris avec soi, est que la gauche est divisée, mais qu’elle a en partage le fait d’être borgne. Toutes et tous borgnes, camarades ! Juste pas du même œil.
Une gauche qui place l’antiracisme au-dessus de tout a sous-estimé, minoré, voilé le danger intégriste. A accepté de traiter les Français musulmans différemment des autres, ce qui, en soi, est une forme de racisme compassionnel. En tolérant chez des imams ce qu’elle ne supporterait pas chez des curés. En refusant de défendre une jeune fille comme Mila, menacée de mort pour blasphème. En laissant entendre que Charlie Hebdo était raciste, tirant un trait d’égalité entre les caricaturistes laïcards et les éditorialistes de Valeurs actuelles. En ne disant rien quand les Juifs quittèrent le 93. En laissant sans réponse les alertes des professeurs face aux insultes des enfants ou aux récriminations des parents. En dissolvant l’idéologique dans le social.
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