La décivilisation par les réseaux sociaux

La décivilisation par les réseaux sociaux

TRIBUNE

 

Nathalie Heinich, sociologue dénonce dans le Monde  l’anarchie des réseaux sociaux et leur rôle décivilisateur.

 

 

 

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L’assassinat islamiste qui nous endeuille confirme l’amplification d’un processus auquel nous assistons jour après jour avec effroi, et que le sociologue Norbert Elias aurait nommé « processus de décivilisation », permettant l’activation à grande échelle de tendances latentes, mais que bride le processus de « civilisation des mœurs ». Celui-ci, fait d’intériorisation des contraintes et d’autocontrôle des pulsions, a mis des siècles à se mettre en place à l’échelle de l’humanité.

Ce processus de civilisation est en train de se retourner en son contraire sous le coup, principalement (même si en matière humaine les causalités sont toujours multiples), des réseaux sociaux, cause si familière qu’on finit par ne plus en repérer les effets. En permettant l’extension dans l’espace et l’accélération dans le temps de la mise en public de tout le spectre des opinions et des comportements, ces technologies produisent des effets que plus personne ne maîtrise, parce qu’à la fois massivement mondialisés et spectaculairement accélérés – comme dans le cas de l’assassin de Samuel Paty, revendiquant son crime sur Twitter en temps réel.

Pointer ainsi le rôle décivilisateur des réseaux ne relève ni d’une peur ringarde de l’innovation ni d’une résistance face à la diffusion de nouvelles formes de communication où les plus âgés ne retrouveraient plus – dans tous les sens du terme – leurs petits. Libre aux « ravis » de la croyance inconditionnelle en les vertus du progrès technique de croire qu’il s’agirait d’un problème générationnel : ils rejoindront ainsi les « ravis » de la croyance inconditionnelle en les capacités d’autorégulation du marché. Il suffit d’observer et de comparer pour repérer ces ravages décivilisateurs, dont nous connaissons isolément chacun des éléments mais dont nous ne réalisons pas à quel point, se cumulant, ils font système, modifiant en profondeur notre monde.

En créant une immense tour de Babel incontrôlée des propos et des images accessibles dans l’espace public d’Internet, les réseaux favorisent une compétition pour l’attention (conceptualisée sous le terme d’« économie de l’attention »), qui induit la surenchère dans la singularisation, par la provocation, l’exagération, le défoulement, voire la jouissance à dire l’indicible, à montrer l’irreprésentable. D’où la publicisation massive d’opinions et de comportements transgressifs.

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