Avenir nucléaire : le projet Iter
Un article très intéressant des les Échos qui fait le point sur le projet nucléaire Iter. Alternative à la fission nucléaire, ce projet expérimental pourrait permettre de produire une énergie décarbonée, abondante, sûre et pratiquement sans déchet. Encore faut-il que l’ambitieux chantier, qui a déjà pris quelques années de retard, arrive à terme et que cette nouvelle technologie démontre sa rentabilité.
1 – Qu’est-ce que la fusion nucléaire ?
La fusion nucléaire est différente de la fission nucléaire, qui est le processus exploité dans les centrales nucléaires d’aujourd’hui. « Le principe de la fission est de casser des noyaux lourds et de récupérer l’énergie générée par cette rupture. Tandis que pour la fusion, on fait chauffer des noyaux légers afin qu’ils aillent suffisamment vite et qu’ils fusionnent, ce qui va aussi libérer de l’énergie », schématise Jérôme Bucalossi, directeur de l’Institut de Recherche sur la Fusion par confinement Magnétique (IRFM) au Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
Pour faire simple, une centrale à fusion nucléaire consiste à reproduire sur Terre une réaction à l’oeuvre dans les étoiles. « Dans notre Soleil, les noyaux d’hydrogène fusionnent pour former des atomes d’hélium, explique Jérôme Bucalossi. Ici, on fait fusionner du deutérium et du tritium, car c’est la réaction la plus facile à obtenir en laboratoire ».
Pour arriver à cette réaction, une température très élevée est nécessaire : de l’ordre de 150 millions de degrés Celsius. Lorsqu’un gaz est porté à très haute température, les électrons sont arrachés de leur orbite dans l’atome et le gaz se transforme en plasma. C’est dans ce milieu que les noyaux légers peuvent fusionner.
2 – Comment « mettre en boîte » l’énergie des étoiles ?
Pour « mettre en boîte » un soleil miniature, cette boîte doit être incroyablement résistante. C’est le rôle du tokamak, la machine au coeur de la centrale qui utilise des champs magnétiques pour confiner et contrôler le plasma chaud.
Inventé dès les années 50 par des physiciens soviétiques – d’où son nom, qui est un acronyme russe -, ce dispositif est une chambre à vide en forme d’anneau entourée d’énormes bobines magnétiques. Le plasma – composé de particules électriquement chargées – est en effet sensible à ce champ magnétique, qui le maintient à l’écart des parois de l’enceinte.
Les parois du tokamak vont ensuite absorber sous forme de chaleur l’énergie créée par la réaction de fusion. Cette chaleur est transformée en vapeur, puis, grâce à des turbines et à des alternateurs, on obtient de l’électricité.
3 – En quoi consiste le projet Iter ?
Bien qu’il soit implanté en France, Iter est un projet international dans lequel sont engagés 35 pays, dont l’Union européenne, la Russie, la Chine, les Etats-Unis, la Corée du Sud, le Japon et l’Inde. Il s’agit d’un projet strictement scientifique et aucune exploitation commerciale n’est encore prévue. Son tokamak, le plus grand jamais construit, a pour ambitieuse mission de démontrer que la fusion nucléaire peut constituer une source d’énergie à grande échelle.
L’idée est née en novembre 1985, lors du sommet de Genève, quand Mikhaïl Gorbatchev a proposé au président américain Ronald Reagan de travailler ensemble à la conception d’un réacteur de fusion nucléaire à des fins pacifiques « pour le bien de l’humanité ». Plus de trente ans après, leur idée a rallié toutes les grandes puissances et commence à prendre forme non loin de Cadaraches, le lieu d’implantation choisi en 2005.
4 – La fusion nucléaire est-elle la source d’énergie parfaite ?
Sur le papier, la fusion nucléaire semble être une source d’énergie idéale. De très grandes quantités d’énergie sont libérées par ce processus, ce qui permettrait de satisfaire définitivement les besoins énergétiques de l’humanité.
Les centrales n’émettent pas de CO2 et génèrent seulement de l’hélium, un gaz inoffensif. De plus, le dispositif est « intrinsèquement sûr », selon Jérôme Bucalossi. « Toute perturbation va refroidir le plasma, et donc arrêter la réaction de fusion. Il n’y a pas d’emballement possible », explique-t-il.
Le tokamak devient à terme un déchet radioactif.CEA
Pour ne rien gâcher, le processus nécessite de manipuler « des quantités de matières très faibles ». « On parle de grammes de deuterium, précise le responsable au CEA, donc une énergie très concentrée qui permet d’alimenter beaucoup d’habitations ». Ce deuterium est « abondant dans l’eau de mer » et « réparti assez uniformément dans la planète ».
Toutefois, le réacteur devient à terme un déchet radioactif, car il produit des neutrons énergétiques qui vont « activer les parois de la machine, c’est-à-dire la rendre radioactive ». Cela dit, la radioactivité de ces éléments « pourrait être désactivée en une dizaine d’années, un siècle maximum ».
5 – Cette technologie est-elle prête ?
Le principal défaut de la fusion nucléaire est qu’elle n’est pas encore bien maîtrisée. On doit chauffer en continu le plasma – et donc lui apporter en continu de l’énergie – pour que les réactions de fusion se maintiennent et produisent à leur tour de l’énergie.
Pour Iter, les concepteurs espèrent que l’énergie produite sera 10 fois supérieure à l’énergie injectée : 50 mégawatts injectés pour 500 produits. Un objectif encore jamais atteint par les précédents réacteurs de recherche construits ces dernières années. Le record est actuellement détenu par JET, qui est parvenu à restituer seulement 70 % de l’énergie injectée : 24 mégawatts injectés pour 16 mégawatts produits.
Le volume de plasma d’Iter sera dix fois plus grand que celui de JET, le plus grand des tokamaks aujourd’hui en activité.
« Combien de jours ou années peut-on maintenir le facteur 10 ? Les parois de la machine sont confrontées à des flux de chaleur intense. Le plasma provoque une érosion. S’il faut changer le réacteur tous les ans, économiquement ce sera difficilement viable », pointe Jérôme Bucalossi.
Ce sont ces défauts qui font dire aux associations environnementales, telles que Greenpeace France, que le projet Iter est un mirage scientifique en plus d’être un gouffre financier.
6 – Pourquoi le projet a-t-il pris tant de retard ?
Projet pharaonique impliquant plusieurs pays et nombreux partenaires industriels, Iter a déjà pris cinq ans de retard, avec un triplement du budget initial, à plus de 20 milliards d’euros désormais.
« C’est un projet international, il a fallu du temps pour former les équipes avec les sept partenaires, apprendre à travailler ensemble, finaliser le design du réacteur, créer les chaînes de productions, s’adresser aux partenaires locaux… », énumère Jérôme Bucalossi. Plus d’un million de composants ont été fabriqués dans les usines des membres du projet, dans le monde entier, puis acheminés vers le site. « Il y a des composants de taille immense, qu’il faut ajuster de manière millimétrique ».
Lancé il y a quasiment 15 ans, le projet Iter a ainsi pu débuter cet été l’assemblage de son réacteur. « Les premières bobines et premiers éléments du cryostat sont arrivés. L’assemblage va durer jusqu’à fin 2025, indique Jérôme Bucalossi. Ensuite la mise en route va être assez longue. Entre les premiers allumages de plasma dans la chambre à vide jusqu’à ce que l’on obtienne le facteur Q = 10, il faudra environ dix ans d’expérimentation ». Les campagnes expérimentales à pleine puissance sont ainsi prévues à partir de 2035.
En cas de succès d’Iter, un autre projet, encore plus ambitieux, doit voir le jour : DEMO. La fusion nucléaire entamera alors son passage à l’échelle industrielle.
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