Le concept de nature est très culturel
Le philosophe de l’écologie, Frédéric Ducarme, rappelle dans le Monde que notre rapport à la nature est très marqué par le christianisme et que le concept est apparu au temps des premières civilisations urbaines.
Chercheur au Muséum national d’histoire naturelle, Frédéric Ducarme s’est spécialisé dans la philosophie de l’écologie. En 2020, il a cosigné deux études sur le concept de nature dans l’histoire et dans l’espace, l’une publiée en janvier dans Palgrave Communications (revue dont le titre est désormais Humanities and Social Sciences Communication), l’autre parue le 29 septembre dans Conservation Biology.
En science, on parle beaucoup de nature – et c’est d’ailleurs le titre d’une des plus grandes revues scientifiques. Pourtant il subsiste un grand flou autour de ce mot polysémique…
Le terme de « nature » est passé dans les angles morts de beaucoup de disciplines. Les scientifiques l’utilisent mais ne l’aiment pas trop, disant qu’il n’est pas scientifique. Et, du côté des philosophes, on l’utilise mais on ne l’aime pas plus, en disant que ce n’est pas un concept philosophique. Du coup, personne ne le théorise vraiment alors qu’il est très employé : entre 1990 et 2015, il figure dans le titre de plus de 7 000 articles scientifiques, mais aucun d’eux ne le définit. C’est quasiment le seul concept majeur que personne ne définit.
Vous expliquez que les philosophes grecs de l’Antiquité ont plutôt une vision dynamique de la nature, comme Héraclite, qui y voit un écoulement, mais que tout cela change avec le christianisme…
Dans le dogme chrétien, on a un Dieu « pantocrator », maître de tout, qui, surtout, est au-dessus de la nature, ce qui lui permet d’être parfait. C’est la grande originalité des religions monothéistes, alors que les dieux grecs sont loin d’être parfaits. Dans l’Iliade, ces dieux sont vraiment tous des sagouins : ils sont remplis de passions, ils piquent des crises de colère ou de peur, ils ont des besoins alimentaires, sexuels et peuvent même mourir. Dans les religions polythéistes, les dieux sont soumis à la nature. Dans les monothéismes abrahamiques, Dieu est en dehors de la nature et celle-ci lui est subordonnée. Toute dynamique ne peut venir que de Dieu et la nature est profondément statique : c’est la Création. D’où l’idée, répandue jusqu’au XVIIIe siècle, que la science a pour but de décrypter le plan divin. Ce à quoi Darwin va s’opposer en faisant intervenir l’histoire dans la biologie.
Comment l’homme se situe-t-il dans cette nature ?
L’idée est que l’homme est plongé dans la nature mais n’en relève pas totalement. Il a une âme qui tend vers le royaume de Dieu. Dans l’Evangile selon Matthieu, il est dit qu’il ne faut pas trop investir dans les choses de la Terre, qui sont destinées à être rongées par la vermine. Il existe une hiérarchie stricte entre le monde physique, qui doit être méprisé, et le domaine purement moral, qui relève du divin – un domaine métaphysique au-delà du physique. La nature est certes le fruit de Dieu, mais elle est un peu brute et c’est à l’homme de s’en faire le jardinier. Chez Buffon (1707-1788) existe cette idée que la nature seule tend vers le croupissement, la pourriture, et que seul l’homme peut bien l’ordonner… comme le jardin des Plantes.
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