Bridgestone: le symbole de la désindustrialisation

Bridgestone: le symbole de la désindustrialisation

 

La tribune du maire de Cannes, vice président de l’association des maires de France dans l’Opinion à propos du processus de désindustrialisation.

 

 

 

 

 

Le fabricant japonais de pneumatiques Bridgestone a annoncé le mois dernier vouloir entamer des discussions en vue de la fermeture de son usine de Béthune (Pas-de-Calais) en raison de la faiblesse de la demande et d’une forte concurrence. Cette usine, mise en service en 1961 et d’une capacité de production d’environ 17 000 pneus par jour, emploie 863 personnes.

La fermeture annoncée de l’usine Bridgestone à Béthune est d’abord un drame humain. Toutes les familles concernées vont subir de plein fouet les conséquences sociales de cette décision. Elle est aussi le symbole de la faillite de l’Etat en matière de politique industrielle depuis des décennies.

Car, ne nous y trompons pas : ce plan social, qui concerne les 863 employés du seul site français du fabricant de pneumatiques japonais, n’a que peu à voir avec la crise liée à l’épidémie de Covid-19. Il a tout à voir avec des choix économiques et fiscaux qui se sont révélés mortifères pour l’industrie nationale et pour l’emploi depuis plus de trente ans.

En 2020, nous comptons déjà près de 400 plans de ce type, si injustement appelés « plans de sauvegarde de l’emploi » dans un vocabulaire technocratique qui ne tient plus aucun compte des réalités humaines depuis longtemps. C’est davantage que l’année dernière à la même époque et se réfugier derrière la crise sanitaire reviendrait à nier une évidence.

Les chiffres sont bien connus et ils sont saisissants. En quarante ans, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB de la France a été divisée par plus de deux. Elle n’est plus que de 10 % aujourd’hui. Le nombre d’emplois a suivi la même pente dévastatrice avec plus de deux millions d’emplois perdus dans le secteur industriel sur la même période.

Si certains de ces plans sociaux marquent davantage les esprits – on se souvient de Gandrange, de Florange ou encore, en pleine campagne présidentielle 2017, de l’usine Whirlpool d’Amiens – la plupart ne mobilisent pas autant l’intérêt des médias et des politiques, sinon locaux.

Désindustrialisation. Sur ces questions, la démagogie l’emporte trop souvent. A droite comme à gauche on se dit « indigné » ou « scandalisé » et on continue d’adopter des postures étatistes à chaque fermeture d’usine ou délocalisation, alors même que cette approche étatiste, faite de subventions de circonstances alimentées par les prélèvements les plus élevés de l’OCDE, a conduit notre industrie à l’échec.

Nos gouvernements successifs s’empressent de répondre à chaque problème par un traitement social qui coûte cher, ne résout rien et alimente la spirale délétère de la perte de responsabilité privée et de la hausse de la dépendance publique, source de surfiscalité, de surendettement et de dégradation de la compétitivité du pays

Certains en viennent même à appeler à la nationalisation de l’usine concernée. Or, si la question de la participation de l’Etat dans certains secteurs stratégiques pour la souveraineté du pays peut se poser, il n’est ici pas question de cela mais des mauvais choix effectués par nos gouvernements successifs qui s’empressent de répondre à chaque problème par un traitement social qui coûte cher, ne résout rien et alimente la spirale délétère de la perte de responsabilité privée et de la hausse de la dépendance publique, source de surfiscalité, de surendettement et de dégradation de la compétitivité du pays.

Pour « traiter » ce qui est visible médiatiquement et relève du théâtre politique, on maltraite tout le tissu économique invisible qui fait la réalité entrepreneuriale et sociale de la France.

Nous ne parviendrons jamais à lutter contre le processus de désindustrialisation à l’œuvre depuis les années 80 sans prendre enfin le contre-pied de ces mesures aussi démagogiques qu’inefficaces et finalement destructrices.

Pour ce faire, cessons enfin de surtaxer le capital, de surdensifier le Code du travail, de créer chaque année de nouvelles normes qui nous pénalisent vis-à-vis de nos concurrents internationaux ; développons les infrastructures de communication et des formations professionnelles en phase avec les réalités entrepreneuriales ; rapprochons les charges de celles de nos voisins qui ont une politique sociale efficace ; stimulons la recherche et la mise en réseaux des entreprises ; veillons à de bonnes externalités (transports, logement, accueil des enfants, etc.) ; soutenons le marketing territorial pour créer des flux économiques positifs.

Compétitivité dégradée. Surtout, nous devons mettre fin à cette spécificité nationale des impôts de production qui pèsent en France d’un poids considérable par rapport à nos partenaires et concurrents. La dégradation substantielle de la compétitivité de notre économie réside en grande partie dans ce constat alarmant relevé récemment par le Conseil d’Analyse Economique : les impôts de production représentent 3,7 % de la valeur ajoutée des entreprises en France contre 0,8 % en Allemagne. En Europe, seule la Grèce prélève davantage !

Dans son budget 2021, le gouvernement a prévu une baisse de 10 milliards de ces impôts mais qui concerne principalement la part régionale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sans toucher à la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) qui accable pourtant les entreprises dès le premier euro de chiffre d’affaires et dont la suppression aurait été bien plus pertinente. De plus, la CVAE permettant le financement des collectivités locales, la question se pose, une fois de plus, de l’autonomie fiscale de celles-ci et au bout du compte de leur capacité à peser sur la réindustrialisation du pays.

Désigner le Covid-19 comme étant le seul responsable des plans sociaux qui vont encore frapper des milliers de Français dans les mois qui viennent ne serait pas honnête et ne permettrait pas d’enrayer ce terrible processus. Nous devons enfin être lucides. Nous devons dépasser le registre de l’émotion pour proposer de vraies solutions. Nous devons faire le choix de la liberté microéconomique et de la régulation stratégique macroéconomique.

Cela nécessite un peu de courage, un langage de vérité et une vraie volonté d’agir plutôt que de s’indigner. A défaut, nous entendrons encore et toujours les mêmes et sempiternels refrains, jusqu’à ce que le rideau tombe définitivement et que la France du travail mette la clé sous la porte.

David Lisnard est maire de Cannes (06) et Vice-Président de l’Association des Maires de France (AMF).

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