Des relocalisations hypothétiques et très limitées
Le discours sur les relocalisations a surtout été nourri par les défaillances du système de production et de distribution pendant les pics de la crise sanitaire. On comprend évidemment que pour certains biens essentiels relevant de la santé, il soit nécessaire de s’approvisionner près des lieux de consommation. On a vu cependant que même pour les masques qui ne constituent pas un produit très élaboré, la France avait des difficultés à satisfaire elle-même les besoins. Ne parlons pas de biens plus complexes où nous sommes dépendants des Allemands ou des Chinois par exemple. Un processus de relocalisation éventuelle ne peut s’inscrire que dans le temps. Il faut en effet des investisseurs, des compétences et évidemment une qualité et une compétitivité des biens produits. Or précisément la France se caractérise par des choix d’investissement industriel de faible qualité. Par exemple dans l’automobile l’Allemagne vend des produits chers mais de haut niveau quand la France se concentre surtout sur les véhicules bas de gamme. Une des rares exceptions est la construction aéronautique ( cependant à dimension européenne).
Depuis la crise financière de 2008, la question du « made in France » revient régulièrement sur la table. Car « la France a été le pays européen qui a le plus délocalisé » avec un million d’emplois industriels perdus entre 2000 et 2016, a rappelé le 12 septembre lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence la ministre déléguée à l’Industrie Agnès Pannier-Runacher.
Une désindustrialisation généralement mise sur le compte d’un coût du travail trop élevé, de la difficulté à licencier, d’une fiscalité trop lourde ou d’une trop grande complexité administrative. Sans parler de certains syndicats gauchistes qui freinent toute évolution structurelle.
À court terme les relocalisations seront très limitées et la priorité est sans doute de sauver ce qui peut l’être encore du potentiel industriel actuel. « La réindustrialisation n’est pas une solution à la crise » immédiate estime Vincent Vicard, spécialiste de la compétitivité française au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).
Les industries intenses en main d’œuvre et dont les tâches ne sont pas robotisables ne reviendront pas en France. « On va recréer des emplois, mais pas ceux qu’on a perdus en délocalisant », résume M. Mouhoud, auteur d’un livre intitulé « Mondialisation et délocalisation des entreprises » (éd. La Découverte).
Il existe « des secteurs sur lesquels on avait un savoir-faire qu’on a plus du tout parce que les technologies ont évolué » comme celui des écrans pour téléviseurs, relève pour sa part Paul-Adrien Hyppolite, auteur d’un récent fascicule intitulé « Relocaliser la production après la pandémie? »
Dans l’électronique notamment, « les parts de marché ont été gagnées par des géants asiatiques. Faire produire par un producteur français ou européen ne serait pas du tout envisageable », argue-t-il, mais « on pourrait envisager d’attirer en Europe des producteurs asiatiques qui sont en pointe sur ces technologies » comme le font les Américains avec une usine du géant taïwanais de la sous-traitance Foxconn dans le Wisconsin.
Dans l’industrie, les coûts du travail ne sont pas déterminants et « ne permettent absolument pas d’expliquer la différence entre la France et l’Allemagne » même si on intègre le poids de la fiscalité, estime pour sa part M. Vicard, pour lequel entrent davantage en considération des questions d’organisation comme le choix de nombreux grands groupes français de produire à l’étranger plutôt qu’en France.
Des études outre-Rhin montrent que le fait que la moitié des membres des conseils de surveillance sont des représentants du personnel dans les grands groupes allemands « a tendance à réduire l’externalisation, à réduire les délocalisations », selon cet économiste.
En France, les aides pour réduire le coût du travail ont jusqu’ici été inefficaces. Une étude que vient de publier France Stratégie, une agence qui conseille le gouvernement, montre que le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), a coûté en 2016 quelque 18 milliards pour créer seulement 100.000 emplois, soit 180.000 euros par poste. Et le CICE a eu « un impact sur les exportations et l’investissement nul », toujours selon M. Vicard.
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