Écologie et mysticisme !
L’énergie que l’on est prêt à déployer pour défendre la faune et la flore est décuplée lorsque, à travers une sorte de cérémonie, on crée des liens avec elles, explique dans le Monde le dessinateur et chercheur en sciences cognitives Alessandro Pignocchi.
Entretien.
Alessandro Pignocchi, chercheur en sciences cognitives devenu bédéiste zadiste (puntish.blogspot.com), est l’auteur de La Recomposition des mondes (Seuil, 2019) et de trois tomes de la série Petit traité d’écologie sauvage (éditions Steinkis). A la ZAD, la « zone à défendre » de Notre-Dame-des-Landes, où les rituels ne sont pas absents, notamment lors des fêtes du solstice d’été, il anime une commission créée sur le sujet.
Pour quelles raisons avez-vous souhaité inventer des rituels sur la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes ?
Nos motivations sont multiples, mais l’une d’elles considère les rituels comme un outil essentiel pour accomplir la transformation cosmologique que tant de gens appellent aujourd’hui de leurs vœux. Celle-ci consiste, en simplifiant beaucoup, à se déplacer d’un monde où les plantes, les animaux et les milieux de vie sont considérés comme des objets que l’on protège ou exploite, vers un monde où ceux-ci sont des sujets avec lesquels on entretient des relations qui relèvent du registre du social.
Passer du temps à inventer collectivement un rituel au cours duquel, par exemple, on personnifie certains arbres de la forêt de Rohanne (Loire-Atlantique) – la forêt de la ZAD – renforce son statut de sujet. Loin d’une simple ressource de bois, elle devient une amie, un membre à part entière du collectif, et l’énergie que l’on sera prêt à déployer pour la défendre s’en trouve décuplée.
Ces cérémonies relèvent-elles d’une forme d’animisme ?
A partir du moment où l’on considère, comme c’est le cas sur la ZAD, qu’une forêt, une mare et un groupe de tritons ont des intérêts qui leur sont propres et qu’on en tient compte, on est davantage dans l’animisme que dans le naturalisme occidental. Mais aucun d’entre nous n’est animiste au sens où un Jivaro peut l’être. Les Jivaros considèrent que les plantes et les animaux ont une vie sociale semblable à celle des humains, avec leurs rituels, leurs shamans, et qu’ils viennent en parler avec les humains lors des rêves et des transes hallucinatoires. Lorsqu’on intègre des éléments de ce type dans nos rituels, c’est bien sûr avec humour et second degré.
La mise à distance de la cérémonie par l’humour n’empêche-t-elle pas de la vivre pleinement ?
Absolument pas, c’est ça qui est étonnant. Selon les anthropologues, beaucoup de rituels sont d’ailleurs accomplis avec une forme de second degré. C’est flagrant chez les Jivaros. Lorsque je suis chez eux et que je leur demande s’ils croient à ce qu’ils sont en train de faire, par exemple lors d’un rituel shamanique, ça les fait rire. Lors d’une pratique rituelle, même sur des sujets graves, ils peuvent paraître très sérieux à un instant donné, et en rire aux éclats l’instant d’après. Il ne s’agit pas de mettre des garde-fous par le biais de l’humour, mais plutôt de ne pas laisser le terrain du réenchantement du monde aux mystiques. Il n’est pas nécessaire d’adhérer à une forme ou une autre d’obscurantisme pour tendre vers des relations aux plantes, aux animaux et aux milieux de vie qui se colorent de toutes les nuances de la vie sociale. Les rituels sont un outil de lutte, parmi de nombreux autres, pour s’attaquer à la suprématie de la sphère économique et au rapport utilitaire au monde qu’elle impose.
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