Aider les PME françaises à s’implanter en Afrique
Olivier de Maison Rouge*, avocat d’affaires, spécialiste du droit de l’intelligence économique, docteur en droit, explique qu’il faut aider les PME françaises à s’implanter en Afrique ou se préparer à être marginal sur ce continent. (Chronique dans la tribune)
Dans l’imaginaire collectif, l’Afrique a longtemps été le pré carré des entreprises françaises. La « Françafrique » a malheureusement véhiculé cette image ternie à tort. Mais comme toutes les idées stéréotypées, celle-ci a pu un temps contenir une part de vérité ; il convient désormais de la nuancer. Si les entreprises françaises n’ont, en valeur absolue, jamais été aussi présentes sur le continent africain, elles sont en net recul relatif sur un marché en pleine croissance : depuis vingt ans, les exportations françaises vers le continent africain ont certes doublé (de 13 à 28 milliards de dollars entre 2000 et 2017), mais dans un marché dont la taille a quadruplé… D’où une division par deux des parts de marché tricolores en Afrique. Sur le plan géographique, le recul est particulièrement important en Afrique francophone. Certes, 50 % du commerce total de la France avec le continent africain s’effectue avec le trio Algérie-Maroc-Tunisie, mais ce trio est suivi de l’Afrique du Sud, du Nigeria et de l’Égypte, tous trois anglophones. La situation des entreprises françaises est également une question de taille : les grands groupes profitent largement des restes de la « Françafrique », les PME sont quant à elle à la peine.
L’importante présence des grandes entreprises francophones a (trop) souvent été le résultat d’activités réalisées « dans l’ombre » et aux marges de la légalité. Les exemples, encore de nos jours, ne sont malheureusement pas rares. La filiale nigérienne de la multinationale des télécoms Orange - qui compte 2,5 millions de clients et a réalisé 86 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018 - quittera bientôt le pays à la suite d’un contentieux l’opposant aux autorités fiscales, qui ont mis ses locaux sous scellés pendant un mois et lui réclament 33 millions d’euros.
Un environnement économique sulfureux
Le groupe Bolloré, qui gère 16 terminaux à conteneurs sur le continent africain, a vu son PDG et plusieurs autres de ses cadres être mis en garde à vue dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour « corruption d’agents publics étrangers » et portant sur les conditions d’obtention en 2010 des terminaux de Lomé, au Togo, et de Conakry, en Guinée. Le groupe est soupçonné d’avoir utilisé leur filiale de communication Havas pour faciliter l’arrivée au pouvoir de dirigeants africains en assurant des missions de conseil et de communication sous-facturées, dans le but d’obtenir de lucratives concessions portuaires. Le géant du nucléaire Areva (devenu Orano) a quant à lui été accusé de n’avoir pas respecté ses obligations en matière de santé et de sécurité (manipulations à mains nues et sans protections, absence de dosimètres individuels…) dans le gisement d’uranium – aujourd’hui totalement abandonné – de Bakouma en Centrafrique. Un site minier qui appartenait à la société canadienne Uramin, dont le rachat en 2007 par Areva lui avait valu une enquête judiciaire pour escroquerie.
Cet environnement économique sulfureux dont ont su profiter les grandes entreprises françaises s’est développé par l’entremise de « Messieurs Afrique », le premier et le plus célèbre étant Jacques Foccart. À la tête du Secrétariat général pour les Affaires africaines et malgaches de 1960 à 1974, cet ancien résistant a mis en place un circuit diplomatique parallèle, permettant aux relations avec les États africains fraîchement décolonisés d’être gérées directement au niveau de la présidence française. Parallèlement à ses collaborateurs officiels, Jacques Foccart s’appuyait sur un réseau plus secret, en marge de la légalité républicaine, qu’il appelait lui-même ses « circuits courts ». Depuis son départ, l’Afrique continue à occuper une place à part et les grands principes de la politique foccartienne sont maintenus, tels que la « paix française ».
Un marché aux nombreuses spécificités
Si les grands groupes français ont su tirer profit de cette « zone grise » entretenue depuis soixante ans, la situation des PME est, elle, bien différente. Alors qu’elles sont au cœur du tissu économique de l’Afrique subsaharienne (elles représentent 90 % du tissu entrepreneurial et 60 % des emplois à l’échelle du continent), les très petites, petites et moyennes entreprises font souvent face à d’importants obstacles. Selon un rapport de l’Agence française de développement (AFD) de 2019, les TPE/PME d’Afrique rencontrent, au-delà des problèmes « classiques » partagés par bon nombre d’entreprises partout dans le monde (problèmes liés aux fournisseurs ou sous-traitants, modification des caractéristiques du marché en cours de projet…), des obstacles spécifiques tels que l’état des infrastructures locales, un environnement politique et social instable ou un environnement financier handicapant. Ces problématiques s’incarnent concrètement dans des retards de paiements par les clients (État inclus), ou dans un déficit d’offres de lignes de crédit adaptées aux besoins des PME par les banques africaines.
Cette situation concerne bien entendu toutes les entreprises en activité en Afrique, PME françaises comprises. Mais contrairement aux grands groupes qui peuvent se prévaloir d’une présence ancienne sur le continent, d’une importante force de frappe financière et d’un soutien de l’État français, les PME doivent faire face seules aux spécificités d’un marché africain qui est en réalité la somme de dizaines de marchés ayant chacun leurs spécificités (nécessité ou non d’installer des expatriés, gestion du risque de change, protection contre l’instabilité politique…). Une situation difficile pour les PME tricolores, la situation du leader historique de fournitures militaires MagForce International en est un exemple regrettable. Le président de cette entreprise s’est notamment fait connaître pour son efficacité et sa discrétion dans les affaires militaires. Après avoir pris la tête de l’entreprise, créée en 1998, Robert Franchiti a bâti sa réputation sur sa longue tradition de travail avec les pays africains. Une collaboration de plus de vingt ans qui n’aura pourtant pas protégé la PME, cette dernière ayant été victime de concussion.
C’est sur ces PME que l’État français devrait porter son attention en leur assurant un soutien maximal, dans une logique gagnant-gagnant avec les États et les populations d’Afrique. En effet, alors que la croissance économique fulgurante que connaissent de nombreux pays d’Afrique subsaharienne depuis une décennie ne s’est globalement pas accompagnée d’une création d’emplois ni d’une répartition plus équitable des richesses, les entreprises françaises ont créé au bas mot 620.000 emplois formels et non subalternes sur le continent, offrant d’importantes opportunités de mobilité sociale aux jeunes Africains, nos entreprises n’hésitant pas à confier la direction de leurs filiales africaines à des salariés ayant grandi sur le sol africain.
Couvertures santé et formations à la clé
Ces emplois s’effectuent par ailleurs dans de meilleures conditions que dans les entreprises concurrentes, en particulier en matière d’accès à des dispositifs de couverture santé pour les salariés et leur famille. Cet impact qualitatif s’incarne également dans les actions de formation et d’inclusion menées par les entreprises françaises, contribuant ainsi à structurer les écosystèmes locaux. Il est également important de rappeler que les contributions des entreprises françaises aux budgets locaux en impôts dépassent le montant de l’aide publique française au développement : au Tchad par exemple, la vingtaine d’entreprises françaises implantées représentent 9% des recettes fiscales du pays.
La France jouit encore indéniablement d’une relation privilégiée avec de nombreux pays d’Afrique francophone, mais pour combien de temps ? Avant que l’érosion de ce lien historique et culturel au profit des pays émergents - Chine en tête - ne relègue irrémédiablement l’Hexagone au statut de partenaire de second rang, les autorités françaises doivent redéfinir leur politique africaine en misant beaucoup plus sur les PME, plus réactives, et plus à même de s’adapter aux réalités d’un continent africain en pleine mutation.
* Auteur de Droit de l’intelligence économique. Patrimoine informationnel et secrets d’affaires (Lamy, 2012) et de Droit du renseignement. Renseignement d’État, renseignement économique (LexisNexis, 2016).
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