Les doutes sur l’isolation des bâtiments
Combler les passoires énergétiques est présenté comme une étape déterminante de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Or, compte tenu des matériaux employés, le coût environnemental est des plus discutable, estime, dans une tribune au « Monde », l’architecte Erik Mootz.
Tribune.
Mythologies. C’est le nom que Roland Barthes donne aux récits ou aux objets qui emportent l’adhésion totale d’un groupe, un état de grâce qui tient à peu de chose : un sentiment, une influence, l’air du temps, le bon timing. A une époque marquée par la polarisation violente des débats à propos de tout ce qui concerne l’organisation de notre communauté, les mythologies sont rares et impressionnent.
Parmi celles-ci, la « chasse aux passoires énergétiques » (comprendre : la rénovation et l’amélioration énergétique des bâtiments) pourrait figurer au panthéon des consensus. Aux populations, la rénovation promet une chaleur protectrice et la baisse du montant de leurs factures. Aux acteurs de la filière industrielle, la promesse d’un marché vertueux, profitable et durable. Aux écologistes, un chapitre incontournable de la transition énergétique. Aux politiques, la synthèse convergente des opinions sociales, vertes et libérales. A l’action publique, un ennemi visible : le « trou de la passoire », que la structure sociale répare.
Combler les passoires énergétiques est un concept national présenté comme une étape déterminante de la neutralité carbone à l’horizon 2050 : le bâtiment représente 44 % de l’énergie finale consommée en France (chiffre 2015, fiche Stratégie nationale bas-carbone [SNBC], ministère de la transition écologique et solidaire). Réduire sa consommation de 28 % à l’horizon 2030 permettrait d’éviter le rejet de plus 20 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
Si le gain est mis en avant de manière insistante, le coût environnemental de cette stratégie est un volet abordé beaucoup plus discrètement. Et pour cause : il n’existe aucun modèle fiable qui permette d’évaluer sérieusement le bilan carbone de cette politique. La traçabilité carbone des matériaux de construction est une science qui a moins de vingt ans et la fiabilité des données disponibles pose question.
Pas de laboratoires indépendants
Les fiches de données environnementales et sanitaires (FDES) qui quantifient l’émission de dioxyde de carbone des matériaux de construction ne sont ni exhaustives ni obligatoires. De surcroît, elles ne sont pas établies par des laboratoires indépendants de type universitaire, mais par des organismes dont l’ADN est étroitement lié à celui de l’industrie du bâtiment – Association française des industries des produits de construction (AIMCC), Alliance HQE-GBC (Alliance des professionnels pour un cadre de vie durable), Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), Confédération des artisans et petites entreprises du bâtiment (Capeb)…
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