Inflation: reprise après la crise
À juste titre, Vincent Champain évoque l’hypothèse d’un retour de l’inflation après la crise. En effet, on voit mal comment la dette immense pourrait être amortie par la seule augmentation de la fiscalité. Le choc serait trop rude. On risque de recourir à la recette classique de l’inflation, c’est-à-dire l’impôt des pauvres qui parait incontournables quand la valeur de la monnaie est en décalage avec la richesse produite réelle.
Tribune :
Pour répondre à la crise du Covid, il a fallu agir vite pour éviter un cercle vicieux : moins de revenus entraînant moins de consommation, et encore moins de revenus. Les Etats européens ont vite augmenté leurs dépenses, puis leur dette. La BCE est intervenue massivement : plus de mille milliards d’euros ont été émis en contrepartie.
Soit la dette Covid sera remboursée par de futurs efforts des contribuables et des bénéficiaires des dépenses publiques. Soit, comme beaucoup le réclament, elle sera monétisée. A terme, il y aura alors des milliers de milliards d’euros de plus pour un peu moins de biens et services. D’une part, le fameux « impôt sur les pauvres » remboursera la dette : les pertes de ceux qui sont les moins bien placés pour se protéger de l’inflation auront pour contrepartie la baisse du poids de la dette.
S’y ajoutera un surcoût moins visible, lié à la perte de croissance qu’entraînera un système de prix moins prévisible – les investisseurs augmenteront leur prime de risque et les ménages leur épargne de précaution, ce qui réduira le niveau d’activité. Le mandat de la BCE ne s’y oppose pas si c’est fait progressivement : si elle avait depuis sa création poussé l’inflation au maximum de son mandat, les prix seraient aujourd’hui supérieurs de 15 %, soit ce qui sera nécessaire pour effacer la dette Covid actuelle.
Les Etats-Unis se trouvent dans une situation cumulant un déficit courant chronique, un isolationnisme économique et un taux d’épargne négatif : une baisse du dollar à moyen terme semble l’un des seuls moyens pour corriger ces déséquilibres
Rebond. Un autre facteur peut contribuer au retour de l’inflation à moyen terme, monétaire celui-là. Qu’il s’agisse de leur capacité de rebond après la crise, ou de leur potentiel à moyen terme, les économies asiatiques – à commencer par la Chine – ont montré une vigueur qui manque encore à l’Europe, et qui est absente aux Etats-Unis. Ces derniers se trouvent donc dans une situation cumulant un déficit courant chronique, un isolationnisme économique et un taux d’épargne négatif : une baisse du dollar à moyen terme semble l’un des seuls moyens pour corriger ces déséquilibres.
L’Europe semble se trouver dans une situation plus favorable, mais sa balance courante s’est fortement dégradée en mai. Si elle peine à la rétablir, c’est sa monnaie qui s’ajustera. La compétitivité des entreprises y gagnera, mais au prix d’un retour d’une inflation vis-à-vis de laquelle la BCE serait mieux armée si le volume de monnaie n’a pas été augmenté par l’absorption de la dette Covid. Est-il possible que l’Asie hier spécialisée dans le bas de gamme et désormais présente dans la haute technologie puisse voir sa monnaie se réévaluer fortement par rapport à la nôtre ? C’est en tout cas ce qu’a fait le Japon.
Sans qu’il soit certain, nous devons donc nous préparer à un risque inflationniste. D’abord en expliquant le vrai coût de la monétisation de la dette et son danger pour l’Europe : créer une divergence irrémédiable entre pays « pragmatiques » qui refuseront de payer le surcoût de l’inflation pour s’en tenir au remboursement de leur dette et pays « romantiques » qui préféreront croire à l’inverse. Ensuite, en évitant de condamner les Français à « l’impôt des pauvres » alors que leurs concitoyens plus aisés sauront mieux protéger leur épargne contre l’inflation.
Vincent Champain est cadre dirigeant et co-président de l’Observatoire du Long Terme, think tank dédié aux enjeux de long terme.
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