«Une mondialisation raisonnée» – (Olivier Duha)
« La mondialisation est à l’homme du XXIe siècle ce que l’ecstasy est aux « techno-ravers ». Phénomène socio-dégénératif pour certains, catastrophe écologique pour d’autres, la mondialisation reste pour le plus grand nombre un puissant déclencheur de pulsions consuméristes quasi orgasmiques » (tribune dans l’Opinion d’Olivier Duha *)
Olivier Duha, co- fondateur de Webhelp et ancien président de CroissancePlus
Quand rien ne va plus, on vide son sac et on cherche des coupables. La crise que nous traversons n’a pas échappé à la règle, et au palmarès des grands fautifs, la mondialisation fait figure de champion. Déjà coupable de notre chômage de masse, de l’accroissement des inégalités, de l’affaiblissement des cultures locales ou du réchauffement climatique, voilà désormais que la mondialisation serait non seulement responsable de la circulation du virus, mais aussi de notre dépendance à des puissances étrangères pour des actifs soudainement considérés comme stratégiques.
Ce procès est un mauvais procès, dans lequel la mondialisation est en vérité victime de nombreux biais.
Il est essentiel de ne jamais perdre de vue que la mondialisation ne rend pas une nation compétitive par nature, c’est la compétitivité d’une nation qui lui permet de jouir du potentiel de la mondialisation
Des biais cognitifs, d’abord, qui convergent vers ce que Steven Pinker a qualifié de « progressophobie ». Notre esprit a, par exemple, naturellement tendance à se focaliser sur les coûts plutôt que les bénéfices, le mal y est toujours plus fort que le bien. Face aux problèmes – réels – que nous constatons, nous oublions ainsi les progrès que la mondialisation a permis au cours du XXesiècle : le taux de pauvreté extrême (moins de 1,90 dollar/jour) a chuté de 60 % à 10 % entre 1950 et 2015, l’espérance de vie a plus que doublé depuis 1900, passant de 32 à 72 ans. Famines et malnutritions, conflits et guerres, mortalité infantile, illettrisme, esclavages et servitudes, partout dans le monde ces maux sont en chute libre et, malgré ce que nous déversent les actualités quotidiennes, nous sommes les témoins de la plus vertigineuse amélioration de nos conditions de vie que le monde n’ait jamais connu.
Des biais culturels, ensuite : la critique de la mondialisation est un « privilège » des populations occidentales, qui n’ont pas éprouvé individuellement le progrès, à la différence de celles des pays en développement, qui en voient les effets de façon très concrète. Nous bénéficions du progrès sans l’avoir véritablement perçu alors que nous ressentons plus directement les coûts de la mondialisation.
Aspiration fondamentale. Imaginer un monde « démondialisé » n’a ni sens, ni avenir. Tout d’abord parce que la mondialisation répond à une aspiration fondamentale de l’être humain : l’échange, qui est l’expression de la liberté. Ensuite parce que, depuis Ricardo, on sait qu’elle est le moteur le plus efficace de la croissance et qu’il n’y a pas de progrès sans croissance. Enfin, parce que la mondialisation est à l’homme du XXIe siècle ce que l’ecstasy est aux « techno-ravers ».
Phénomène socio-dégénératif pour certains, catastrophe écologique pour d’autres, la mondialisation reste pour le plus grand nombre un puissant déclencheur de pulsions consuméristes quasi orgasmiques. Comme le note Sébastien Bohler (Le bug humain, Robert Laffont, 2019), la mondialisation est notre meilleure alliée tant elle a permis de démocratiser ce qui était pendant des milliers d’années réservé à une élite.
Dans ce contexte, le débat n’est pas « devons-nous acter de la fin de la mondialisation », mais « comment pouvons-nous rendre la mondialisation plus vertueuse » ?
Tout d’abord, il est essentiel de ne jamais perdre de vue que la mondialisation ne rend pas une nation compétitive par nature, c’est la compétitivité d’une nation qui lui permet de jouir du potentiel de la mondialisation.
L’enjeu est, à l’évidence, dans l’avènement d’une mondialisation « raisonnée », préservant le libre-échange tout en prenant mieux en compte des objectifs aujourd’hui bafoués par le court-termisme ou par l’égoïsme des Etats
Si le débat sur la souveraineté industrielle ouvert par la crise est légitime, nous devons surtout nous donner les moyens de faire partie de la compétition mondiale, pour bénéficier de l’effet multiplicateur d’un terrain de jeu planétaire. Cela passe par des réglementations stables et efficaces, co-construites avec les acteurs économiques, par l’investissement dans les infrastructures (télécoms, énergie, fret), par la formation, par la recherche, par des politiques européennes coordonnées, volontaristes et résolument tournées vers une mondialisation de conquêtes.
Libre échange. L’enjeu est aussi, à l’évidence, dans l’avènement d’une mondialisation « raisonnée », préservant le libre échange tout en prenant mieux en compte des objectifs aujourd’hui bafoués par le court-termisme ou par l’égoïsme des Etats : la protection de l’environnement, l’équité sociale ou encore la loyauté dans les relations commerciales. Les instruments – donner un prix au carbone, protéger les droits de propriété intellectuelle, appliquer des mesures anti-dumping social ou anti-subventions publiques – sont connus. C’est la volonté politique de les appliquer de façon cohérente au niveau mondial qui fait défaut. Il faut, pour cela, refonder le multilatéralisme, sortir du bourbier du « cycle de Doha », engagé par l’OMC depuis 2001 sans aucun résultat. Le défi est immense mais la gravité de la situation actuelle nous impose un grand remodelage de l’ordre mondial.
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