Se préparer à d’autres pandémies » : Rony Brauman, (ex-président de Médecins sans frontières),
L’inquiétude de Rony Brauman à propos des pandémies (interview France Info)
Comment avez-vous traversé cette crise sanitaire inédite ? Comment avez-vous vécu ce confinement ?
Rony Brauman : J’ai la chance d’être correctement logé, en proche banlieue parisienne. Sur le plan matériel, j’ai vécu cette épidémie d’une manière confortable, sans stress. Mais en tant que membre de Médecins sans Frontières, en tant que médecin et citoyen frappé par cette pandémie, j’ai été mobilisé en permanence par cette question. J’ai passé beaucoup de temps à répondre à des questions, à m’en poser, à suivre l’évolution constante de l’épidémie – une évolution qui n’est toujours pas terminée. De ce point de vue-là, cela a été une période très pressante, très intense.
Je l’ai également vécue dans l’inquiétude, une inquiétude qui ne s’est pas levée, liée aux répercussions non-médicales de cette épidémie. Dès que le confinement a été prononcé, nous avons vu que les conséquences économiques seraient très lourdes sur le travail des gens, sur leurs revenus et leur mobilité. Nous les constatons évidemment de façon très forte aujourd’hui. Avec le sort des gens qui étaient frappés, pour certains durement frappés, c’est cela qui en quelque sorte me réveillait la nuit. Cela me rendait très inquiet. Cette période était donc d’un côté confortable, et de l’autre très préoccupante.
Nous avons le sentiment, étant dans cette phase de déconfinement en France, que les choses vont mieux. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a même déclaré la semaine dernière : « La situation s’améliore en Europe ». Et pourtant, parallèlement, « l’épidémie s’aggrave dans le monde ». A quel moment de cette pandémie sommes-nous, selon vous ? Et quelle sera la suite ?
Je manque de certitudes concernant l’épidémie, sa cinétique et les conditions de son évolution. Cela est lié aux constatations changeantes, aux vérités d’un moment qui, la semaine suivante, sont périmées. Nous avions l’impression d’un déclin global de l’épidémie il y a encore une semaine. Cette impression est aujourd’hui mise en question par des évolutions préoccupantes dans plusieurs pays africains, en Amérique latine, en Amérique du Nord et tout récemment en Asie, en particulier en Chine.
La question de savoir si cette épidémie est saisonnière, si elle va céder avec l’arrivée des beaux jours ; la question de savoir si la masse critique d’immunité collective va être atteinte, et donc permettre d’atteindre un niveau de protection complété par le vaccin… Tout cela reste très incertain.
Je vois une progression préoccupante en Afrique en particulier, du fait du voisinage de notre pays avec le continent africain. Cette progression est hétérogène, comme c’était le cas en Europe et comme c’est le cas partout dans le monde. Certains pays sont plus touchés que d’autres, et certaines régions sont plus touchées que d’autres dans un même pays. En Afrique, un quart des cas se situent en Afrique du Sud, et dix pays seulement concentrent l’immense majorité – 80% – des cas recensés. Que va-t-il en être ? Personne ne le sait. Les conditions démographiques et immunologiques, mais aussi les conditions de l’habitat, de l’âge moyen de la population, ou encore de la part de personnes âgées dans la population globale… Tout cela est différent en Afrique. L’accélération que l’on connaît actuellement ne débouchera pas forcément sur une situation épidémique globale. Pour l’instant, cela reste des chiffres, mais qui supposent une surveillance.
Un point important est que cette épidémie peut être jugulée. Plusieurs pays l’ont montré : la Nouvelle-Zélande, Taïwan, la Corée du Sud… Cette épidémie peut être jugulée dans sa phase précoce, quand les premiers cas commencent à se développer. On peut alors diagnostiquer cliniquement ou biologiquement ces cas, tracer des contacts, procéder à l’isolement et imposer – ou proposer plutôt – des mesures barrières, de distance physique et de protection individuelle. Nous ne sommes donc pas totalement démunis. Nous avons des moyens de diagnostic, de surveillance et une stratégie de réaction qui a montré une certaine efficacité, mais dans des circonstances particulières. Quand l’épidémie flambe, nous sommes alors réduits à une position défensive – soigner le mieux possible les malades les plus graves – et, grâce aux mesures de distanciation, espérer un déclin aussi rapide que possible de l’épidémie. Or, le soin aux malades n’est pas toujours possible. Dans de nombreux pays, les systèmes de santé sont insuffisants et le soin ne peut être garanti. Dans ces cas-là, nous pouvons nous attendre à une surmortalité relativement importante.
J’insiste sur le fait que nous savons peu de choses. Prenons l’exemple des porteurs asymptomatiques, vecteurs du virus sans être malades eux-mêmes. Nous avons découvert dans cette maladie l’importance du nombre de porteurs asymptomatiques. Ce n’était pas une révolution : de très nombreuses maladies virales, comme la polio ou la grippe, évoluent de cette manière. Ce qui est surprenant, c’est qu’à certains moments, les porteurs asymptomatiques sont des vecteurs importants puisqu’ils crachent du virus sans en être conscients. Ils peuvent donc contaminer leurs voisins, dans le métro ou chez eux. Et aujourd’hui, nous semblons au contraire reculer là-dessus. Les porteurs asymptomatiques ne seraient pas un danger particulier et ne diffuseraient pas le virus. Cela forge évidemment la façon dont on perçoit le risque global.
De la même manière, on pensait qu’il fallait que 60% de la population soit porteuse d’anticorps, que ce soit par la vaccination ou par la réaction spontanée au contact avec le virus. Aujourd’hui, ce pourcentage pourrait en réalité être beaucoup plus bas. C’est une bonne nouvelle : cela voudrait dire qu’on atteindrait un stade de protection collective plus rapidement. Là encore, les évolutions contradictoires du savoir sont très perturbantes, très déstabilisantes.
Beaucoup de gens résument leurs impressions [sur cette épidémie] en ces quelques mots : on n’y comprend rien.
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