« Vers des démocraties de l’abstention »

« Vers des démocraties de l’abstention »

La chute du taux de participation enregistrée les 15 mars et 28 juin s’explique autant par la peur du virus que par l’absence de campagne électorale « de forte intensité », analyse la politiste Céline Braconnier dans une tribune au « Monde ».

 

Tribune. Alors que la pratique électorale intermittente est devenue la norme, les élections municipales se sont longtemps distinguées par leur capacité à faire venir aux urnes une partie des citoyens qui ont basculé dans l’abstention aux régionales, aux européennes et aux législatives. L’attachement à la figure du maire, la perception de certains enjeux touchant le quotidien étant au nombre des facteurs explicatifs de cette exceptionnalité municipale jusque-là préservée.

La chute subite du taux de participation enregistrée les 15 mars et 28 juin, d’une ampleur spectaculaire – de l’ordre de 20 points –, semble donc marquer un nouveau cap dans le basculement de la France du côté des démocraties de l’abstention. Car, cette fois-ci, seuls quatre inscrits sur dix ont fait entendre leur voix, avec pour effet, notamment dans les grandes villes en situation de triangulaire, de consacrer des élus locaux soutenus par une infime proportion d’inscrits : 10 à 15 %, rarement plus. Si l’on tient compte des 11 % de non-inscrits, on mesure toute la distance creusée année après année entre les citoyens et l’institution électorale.

Le contexte sanitaire a bien évidemment joué sur l’ampleur de cette abstention. Il en a aussi modifié la sociologie, puisque les populations les plus exposées au risque de la contamination (les plus de 60 ans), dont la participation atteignait 75 % en 2014, n’ont été cette fois-ci que 43 % à se déplacer. Cependant, il n’a pas neutralisé les inégalités structurelles de participation électorale.

Lors du second tour, comme habituellement, on a beaucoup plus voté dans les petites communes de Lozère ou des Pyrénées-Orientales que dans les grandes villes. Et l’on a moins voté en Seine-Saint-Denis qu’ailleurs en France. 13 à 15 points de participation séparent les 4e et 8e arrondissements de Lyon comme les 5e et 19e arrondissements de Paris, à la sociologie beaucoup plus populaire.

A l’instar des scrutins de 2008 et 2014, ce sont aussi et surtout les jeunes qui se sont le moins rendus aux urnes (72 % d’abstention chez les 18-34 ans), dans des proportions inquiétantes identiques à celles enregistrées lors des scrutins qui se sont succédé depuis les législatives de 2017.

Les concernant, c’est moins la peur liée au virus qui explique une participation inhabituellement basse pour une municipale que l’absence de campagne électorale de forte intensité, utile pour neutraliser, quelques jours avant un scrutin, l’éloignement du monde institutionnel et aider à faire le lien entre vécu, programmes et politiques publiques. Du fait d’une campagne tronquée, nombre de jeunes rencontrés dimanche aux abords des bureaux de vote ne savaient pas qu’un scrutin se tenait ou étaient tellement peu informés des programmes et des enjeux qu’ils ne souhaitaient pas se rendre aux urnes. »

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