Affaire Fillon : qui a trahi?
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La question risque d’être pendante durant un long moment car dans ce genre d’affaires ceux qui agissent vraiment et pourraient être même inculpés pour action illégale sont souvent des seconds couteaux voir des troisièmes. Il faut se souvenir qu’au moment de l’élection présidentielle Fillon n’était sans doute pas le seul, loin s’en faut, à rémunérer quelqu’un de sa famille comme collaborateur parlementaire. D’une façon générale pendant des années, cette pratique a même été assez courante.
Une manière d’arrondir les fins de mois. Ce qui est surprenant dans cette affaire c’est la brutalité avec laquelle est intervenue cette nouvelle qui a largement contribué à discréditer l’intéressé et même à lui faire perdre toute chance d’élection.
Certains parlent de concurrence et de rivalité au sein même du parquet , la thèse est possible mais on ne livre pas ce genre d’information sans s’être au préalable assuré de l’appui susceptible de vous défendre en cas d’attaque de l’adversaire. Il est clair que Macron a été l’un des principaux bénéficiaires de cette opération de déstabilisation de Fillon qui a pris peut-être un peu trop ses aises avec les privilèges » ordinaires » du pouvoir . ( Hollande était déjà hors jeu).
L’attaque peut aussi venir de intérieur même du camp des Républicains. De proches de Sarkozy qui n’appréciaient pas Fillon; les mêmes peut qui ont aussi torpillé la candidature de Juppé. À deux pas de son épilogue, l’affaire Fillon vient peut-être de redémarrer. En effet , les déclarations surprenantes d’une haute magistrate jettent un doute rétrospectif sur la conduite de l’enquête et lui offrent l’occasion d’apparaître non plus en suspect mais en victime.
La femme par qui le scandale arrive est Éliane Houlette. À la tête du parquet national financier (PNF) jusqu’à l’an dernier, elle vient de déplorer devant une commission parlementaire les « pressions » exercées par sa hiérarchie en 2017 pour accélérer les poursuites contre François Fillon. Dès lors, c’est la question de l’impartialité de la justice qui est posée. Et, par ricochet, celle de la sincérité d’une élection qui a causé la défaite de l’intéressé et abouti à la victoire d’Emmanuel Macron.
Le chef de l’État ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Conscient qu’une ombre portée sur le scrutin de 2017 pourrait lui porter tort, il a saisi vendredi soir le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), organe indépendant chargé de garantir l’indépendance de la justice, pour lui demander « d’analyser si le PNF a pu exercer son activité en toute sérénité, sans pression » dans le dossier Fillon. Le CSM devrait vite convoquer Éliane Houlette et les autres magistrats susceptibles d’éclairer cet épisode, au parquet général de Paris et à la chancellerie, voire l’ancien ministre (PS) de la Justice Jean-Jacques Urvoas et des membres de son cabinet. Mais nul ne sait quelles conséquences pourront être tirées de l’avis qui sera rendu, surtout s’il est négatif.
L’avocat de Fillon, Antonin Lévy, n’en attend rien de providentiel : « La séparation des pouvoirs est à géométrie variable, ironisait-il samedi. La justice ne veut pas que les députés s’autocontrôlent sur l’utilisation de leurs frais de mandat, mais elle veut bien que les magistrats s’autocontrôlent sur la conduite des procédures. » À l’Élysée, on confie néanmoins qu’une inspection administrative pourrait prendre le relais si les pouvoirs d’enquête du CSM s’avéraient insuffisants.
Quel mystère faut-il percer? Celui des circonstances qui ont conduit le PNF à changer le cadre juridique de l’enquête sur Fillon et son épouse, le 24 février 2017. Ce jour-là, Éliane Houlette interrompait subitement l’enquête préliminaire ouverte un mois plus tôt sur la base d’un article du Canard enchaîné et ouvrait une information judiciaire. Loin d’une simple étape procédurale, cette décision transférait la responsabilité de l’enquête de la police à un juge d’instruction ; et surtout, elle ouvrait la possibilité d’une mise en examen, alors que le candidat avait proclamé que seule une telle poursuite l’obligerait à se retirer.
Or dans sa déposition récente devant les députés, Éliane Houlette affirme que sa supérieure directe, Catherine Champrenault, a voulu lui imposer ce revirement. « J’ai été convoquée au parquet général, j’y suis allée avec trois de mes collègues d’ailleurs, […] pour m’engager à changer de voie procédurale, c’est-à-dire d’ouvrir une information », raconte-t-elle, indiquant même que la procureure générale lui a adressé « une dépêche en ce sens ». L’entrevue entre les deux femmes remonte au 15 février 2017. Houlette dit avoir refusé d’obtempérer. Pourtant, une semaine après, elle ouvrait bel et bien une information judiciaire contre les époux Fillon, notamment pour « détournement de fonds publics ».
Officiellement, le motif de sa volte-face tenait à un risque imprévu : l’adoption d’un nouveau régime de prescription interdisant de facto de poursuivre des délits financiers au-delà de douze ans après les faits, qui pouvait donc bloquer le dossier Fillon. S’agissait-il d’un prétexte destiné à habiller une décision prise sous la contrainte? Même si Houlette a « regretté » vendredi le tohu-bohu né de ses propos publics, selon elle « déformés ou mal compris », rien n’interdit de le penser puisque sa supérieure, elle, ne nie pas avoir « préconisé » une information judiciaire. D’où une énigme supplémentaire dans cette charade à tiroirs : pourquoi la dirigeante du PNF n’a-t-elle pas versé cette instruction écrite au dossier, comme la loi le prévoit?
L’imbroglio ne s’arrête pas là. Car une fois l’information ouverte, il fallait la confier à un juge et ce choix relevait non du PNF mais du président du tribunal de Paris. Alors à ce poste, Jean-Michel Hayat, magistrat chevronné notoirement classé à gauche, allait désigner Serge Tournaire en sachant pertinemment quelle en serait la conséquence : le juge d’instruction, déjà chargé de la quasi-totalité des enquêtes visant Nicolas Sarkozy et des personnalités de droite, passerait vite à l’action, campagne présidentielle ou non.
Problème : Hayat a révélé par la suite avoir été alerté par Houlette dès le 22 février ; mais Tournaire n’était de permanence qu’à partir du 24. Tout porte donc à croire que la procureure et le président se sont entendus pour faire coïncider l’ouverture du dossier avec l’agenda du juge d’instruction – ralentir le processus pour accélérer la procédure… La suite se déroula comme prévu : trois jours après avoir hérité de l’affaire, Tournaire convoquait Fillon et le 14 mars, le candidat était mis en examen, à quarante jours du premier tour. Déjà flétrie, sa campagne tournait au calvaire.
Bien sûr, rien ne permet de conclure que ces influences secrètes ont été décisives avant sa mise en examen, l’ex-Premier ministre avait déjà chuté dans les sondages, les éléments de l’enquête le compromettaient et sa défense semblait calamiteuse – n’avait-il pas lui-même réclamé que la justice aille vite? Sans parler de l’affaire des costumes révélée par le JDD en mars. Il n’empêche, les confidences de l’ex-dirigeante du PNF, désormais retraitée, font ressurgir les soupçons d’instrumentalisation de la justice.
D’autant que la magistrate évoque aussi d’insistantes « demandes de précisions » sur l’enquête, venues elles aussi du parquet général. « C’est un contrôle très étroit, une pression très lourde », a-t-elle dit aux députés. En réponse, la procureure générale n’a contesté que le terme de « pression ». Et pour cause : sa position hiérarchique l’autorisait à solliciter de tels renseignements. À qui les destinait-elle? D’évidence, à la chancellerie, et à travers elle au pouvoir. Toujours démentie mais toujours pratiquée, la remontée d’informations sensibles fait partie de l’ordinaire des procureurs, a fortiori en période électorale, où les plus avisés veillent à prendre le bon tournant au bon moment.
Début 2017, François Hollande s’était déjà désisté ; le jeu était ouvert mais les usages restaient. Dans le livre qu’ils lui ont consacré, Un président ne devrait pas dire ça (Stock, 2016), les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme décrivent le prédécesseur de Macron comme « le président de la Ve République le moins au fait des procédures dites sensibles » tout en apportant plusieurs preuves du contraire : Hollande retraçant la chronologie d’une enquête visant Sarkozy, confiant avoir été prévenu d’une perquisition par Christiane Taubira, révélant avoir renoncé à nommer une ministre pour avoir « su qu’il y avait une enquête préliminaire ». « Il vaut mieux ne pas savoir, quitte à prendre des coups », assurait-il aux auteurs. Dans l’affaire Fillon, certains ont su. Et le coup (de grâce) a été donné.