Le stoïcisme, ; une réponse pour mieux discerner les enjeux
(*) Flora Bernard est co-fondatrice de l’agence de philosophie Thaé, , elle propose de recourir au scepticisme pout perdre le temps de mesurer les enjeux du changement. ( chronique la Tribune)
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Mi-mars 2020, le choc fut brutal : en quelques jours, le gouvernement français avait annoncé la fermeture de toutes les écoles, puis de tous les restaurants et lieux de rassemblement sociaux et culturels, ainsi que le confinement strict de la population française. La plupart des entreprises ont mis en place le télétravail dans l’urgence, d’autres ont eu recours au chômage partiel, des pans entiers de notre économie ont été mis à l’arrêt. Les vécus personnels ont oscillé entre débordement et désœuvrement total, entre épuisement, crise de sens et renaissance. Le confinement nous a questionné (entre autres) sur l’utilité de notre travail, notre rôle de parent, notre liberté, l’assouvissement de nos désirs dans une société qui les prône sans limites. Si la philosophie doit servir à quelque chose, c’est bien d’éclairer la vie et, par temps de crise, nous permettre de prendre de la distance pour mieux vivre nos épreuves.
L’école de philosophie stoïcienne, elle-même née d’une crise, mérite d’être redécouverte. Le riche marchand Zénon de Kition venait de faire naufrage, aux alentours de 300 av. J.-C et se réfugia à Athènes. Ayant tout perdu, il se tourna vers la philosophie et prit conscience que ce ne sont pas tant les circonstances elles-mêmes qui nous rendent malheureux, mais la manière dont nous nous les représentons et, donc, dont nous les vivons. Tout notre malheur vient de cette confusion entre les choses (les situations…) elles-mêmes, qui sont neutres, et le jugement que nous portons sur ces choses. Zénon créa sa propre école, sous un Portique à Athènes (d’où le nom de Stoïcisme, Stoa signifiant Portique en grec). Dans ces cinq chroniques, ce sont trois illustres représentants de l’école stoïcienne qui nous serviront de guides : l’empereur Marc Aurèle, le riche homme politique Sénèque, conseiller de Néron, et l’esclave et maître à penser Epictète.
Ce qui dépend de nous
Epictète commence ainsi son Manuel : « Il n’y a dans l’univers que deux sortes de choses : les unes dépendent de nous, les autres non. Dépendent de nous nos opinions, les élans de notre volonté, désirs ou aversions, en un mot tout ce qui est de l’âme. Ne dépendent pas de nous, notre corps, la richesse, la célébrité, le pouvoir, en un mot, tout ce qui n’est pas notre œuvre.»[1] Attardons-nous ici à ce qui dépend de nous en premier chef : nos opinions, nos représentations. Epictète avait développé une théorie élaborée de l’activité intellectuelle, sur la manière dont se forment nos jugements. Lorsque nous faisons l’expérience d’une situation, lorsque nous recevons les propos de quelqu’un, nous confondons les faits avec les émotions qui y sont associées d’une part, et avec le jugement spontané d’autre part. Ce jugement spontané, c’est le monologue intérieur qui accompagne notre perception. Si nous n’y prenons garde, il prend rapidement la place du jugement définitif que nous allons donner à ce que nous vivons.
Que s’agit-il donc de faire ? Un exercice en apparence simple, en réalité plus complexe tant il demande une véritable conversion du regard : suspendre nos jugements spontanés pour les questionner et se demander si nous allons leur donner le statut de jugements définitifs. Il s’agit d’exercer son discernement et de distinguer les faits des émotions et des pensées qu’ils provoquent. Ce que nous prenons pour des obstacles, par exemple une tempête, sont neutres en soi ; c’est nous qui leur apposons un jugement positif ou négatif (la tempête est terrifiante).
Confinement, déconfinement, des événements neutres
Nous pourrions concevoir le confinement et le déconfinement comme des événements neutres, ni bons ni mauvais, puisqu’ils ne dépendent pas de nous, pris individuellement. C’est nous qui évaluons le confinement comme un problème (valorisant une certaine liberté physique qui nous est retirée) et le déconfinement comme un soulagement (valorisant la possibilité de se mouvoir et de se regrouper physiquement).
La puissance de l’enseignement d’Epictète vient du fait qu’il préconise une modification d’attitude intérieure : si nous ne pouvons pas changer ce qui est extérieur à nous, changeons notre manière de voir et donc de réagir aux événements. Les stoïciens prônent-ils pour autant la passivité ? Non, bien au contraire, même si c’est ce qu’on leur a souvent reproché. Les stoïciens étaient engagés dans la cité et dans l’action, mais pas n’importe comment. Car l’action, ou « les élans de notre volonté », dépendent bien de nous. Encore faut-il ne pas confondre intention, impulsion à agir et résultat..
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[1] Epictète, Manuel, ed. Payot Petite Bibliothèque.
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(*) Flora Bernard est co-fondatrice de l’agence de philosophie Thaé, qui accompagne les organisations à redonner du sens à qui elles sont et ce qu’elles font. Elle est l’auteure de « Manager avec les Philosophes », (éd. Dunod, 2016). Avec son associée Marion Genaivre, elles ont publié en 2020, « Un Mois, Un Mot », recueil de textes philosophiques sur douze concepts du monde du travail, disponible sur www.thae.fr
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