Société: L’urgence d’une réflexion prospective et d’une vision (G. Bessay, expert en prospective)
Rien de fondamental ne pourra être résolu sans adhésion à la complexité de la crise qui est à la fois une crise, économique, sociétale, environnementale, culturelle et maintenant sanitaire. Par exemple , cette crise sanitaire est liée à certains phénomènes de mondialisation tout autant qu’à des rapports déséquilibrés avec l’environnement et notamment la biodiversité. Cette crise est systémique car les transformations internes interagissent les unes sur les autres. Un des problèmes réside dans le fait qu’il n’existe pas de formation scientifique de type généraliste pour tenter de comprendre et d’expliquer les évolutions du système global dans lequel nous évoluons. D’une certaine façon au contraire, nous assistons à un éclatement des connaissances qui certes s’approfondissent de façon spectaculaire mais de manière de plus en plus éclatée ; même si certaines découvertes d’un champ peuvent indiscutablement profiter à un autre. Ce qui est en cause, c’est la nature des changements et aussi leur rythme. Jamais sans doute dans l’histoire humaine les transformations n’ont été aussi importantes et aussi rapides. Les changements ont été plus importants en quelques dizaines d’années que pendant des siècles et des millénaires, ils ont été encore plus rapides au cours de la dernière dizaine d’années. Les changements les plus médiatisées et les mieux connus du grand public concernent les domaines économiques et technologiques avec leurs conséquences sociales. Les processus de production sont aujourd’hui complètement éclatés dans plusieurs pays qui se spécialisent sur un des éléments de la chaîne. Les grandes marques se contentent surtout du montage final voire seulement du pilotage numérique de l’ensemble du système de production. C’est valable d’abord évidemment pour l’industrie, mais cela affecte progressivement l’agriculture et surtout les services. Tout cela entraînant d’énormes gaspillages de transport et de logistique qui participent au dérèglement climatique et aux bouleversements de la biodiversité. (Exemple la déforestation de pays en voie de développement pour nourrir le bétail des pays développés). Finalement, le concept de nationalité d’un produit n’a plus beaucoup de sens. Le made in France par exemple est une fiction puisqu’il peut se limiter à l’apposition d’une étiquette ou d’un couverte pour que le produit importé devienne français. Il en est de même par exemple pour l’industrie automobile française dans la plus grande partie vient de l’étranger. Autre exemple, celui de l’industrie pharmaceutique française, l’une des plus puissantes au monde mais dont plus de 50 % des molécules sont fabriqués en Asie notamment en Chine. Cet éclatement est surtout le fruit de distorsions de concurrence relatives aux coûts sociaux, à la fiscalité et aux normes environnementales et sanitaires. La recomposition du produit final et sa distribution génèrent évidemment des gaspillages incalculables qui affectent l’environnement. Un simple yaourt peut nécessiter par exemple 1000 km de transport. On ne peut nier cependant certains aspects indiscutables du progrès matériel qui a permis à de plus en plus de populations de mieux se nourrir, se vêtir, s’instruire , se loger et vivre plus dignement. Par contre si le niveau moyen de satisfaction matérielle a augmenté, on ne peut contester l’augmentation des inégalités. Avec d’un côté des géants industriels, financiers ou des géants du numérique qui non seulement brassent des milliards de profits mais surtout imposent une domination économique et culturelle. Dans l’agriculture, l’industrialisation a permis de multiplier par 5 ou par 10 les rendements grâce à la mécanisation mais aussi à l’utilisation de cocktails chimiques dont on ne pourra mesurer les effets sur la santé que dans des dizaines d’années par exemple concernant le développement des affections neurovégétatives ou des cancers. Cette agriculture chimique a tué 80% des insectes et autant d’espèces animales en quelques dizaines d’années bouleversant aussi la biodiversité. Or les coronavirus par exemple naissent à 80% parmi les animaux dont les atteintes à environnement empêchent l’auto-immunisation d’antan. Concernant les inégalités, il faut citer l’accès au logement de plus en plus difficile dans les grandes métropoles qui rejettent dans les banlieues lointaines ou les zones rurales les catégories les moins favorisées. Ce phénomène de super concentration urbaine n’est pas étranger aux crises sanitaires et environnementales en raison de l’excessive densité des populations. En France par exemple, les couches moyennes sont progressivement chassées de Paris où il faut en moyenne 1 million d’euros pour un appartement à peu près décent. C’est un peu le même phénomène dans le monde entier ou dans des métropoles françaises de province. Les inégalités se développent aussi en matière de formation même si globalement les effectifs scolarisés augmentent et vont de plus en plus loin dans les études. Des études très approfondies pour certains ( notamment les écoles d’ingénieurs et certaines disciplines universitaires) mais des études qui débouchent sur des diplômes fictifs pour d’autres condamnés à des emplois de faible qualification ou au chômage, un phénomène particulièrement français qui culturellement pointe l’apprentissage comme une sorte de tare sociale. D’un point de vue social, il n’est pas admissible que des pays développés comptent autant d’inégalités voire de pauvreté sans parler des gens dans la rue. Le domaine culturel est aussi affecté avec d’un côté des productions de grande qualité mais de l’autre des productions de masse de type industriel faites pour abêtir, endoctriner ou endormir. Pour s’en persuader, il suffit d’analyser le contenu des 200 ou 300 chaînes de télévision disponibles en France. La complexité qui mériterait d’être bien davantage appropriée crée une sorte de refuge vers l’individualisme. Faute de réassurance identitaire, nombre de personnes se réfugient dans le mirage d’un passé illusoire avec le fol espoir qu’il prendra la place du futur. Ce qui explique aussi les nouvelles résistances face aux flux migratoires considérés comme des facteurs anxiogènes économiques mais aussi culturels. Cela d’autant plus que les capacités d’intégration se sont considérablement affaiblies pour ne pas dire parfois écroulées dans certaines zones D’où le développement de formes de populisme voire de néopoujadisme et de nationalisme. Une sorte de reflexe face à la peur des changements. Ce repli réactionnaire et individualiste remet en cause le ciment et le dynamisme qui fonde une nation ; une nation dont l’unité est mise en cause également par le refuge dans des groupes identitaires religieux autant que civils. Un refuge qui peut se même se réduire à la cellule familiale voire encore moins. En bref, la dimension collective fout le camp sauf dans quelques cercles très restreints. Ceci étant, tout cela se nourrit aussi de l’injustice, des dysfonctionnements de l’anarchie des marchés et des flux qui souffrent d’un manque évident de régulation et d’équité ; Non seulement à l’échelle européenne mais mondiale. Les facteurs explicatifs de cette crise sont nombreux et complexes, on ne saurait les résumer dans un court papier. Mais la première démarche pour mieux comprendre consisterait d’abord à admettre cette complexité. Cela pour éviter le piège du simplisme qui ne peut conduite qu’à la caricature. Les responsables chacun à leur échelle, tentent bien de résoudre certains des effets de la crise mais ce sont le plus souvent des actes trop partiels et de court terme là ou il faudrait des orientations plus globales qui s’inscrivent dans le temps. De ce point de vue, la démocratie en est sans doute encore au stade néandertalien concernant le mode d’élection et les conditions d’exercice du mandat. D’où l’insatisfaction générale et souvent partout dans le monde trop de contradictions entre les intentions affichées et les réalités pouvoir : De quoi nourrir un peu plus le populisme et l’incompréhension de la crise. L’exercice de réflexion prospective constitue un préalable à la définition d’un projet qui ne peut être devenir mobilisateur sans débat sérieux et réel avec les acteurs et les citoyens.
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