Aurélien Taché, encore un député qui quitte « La République en marche »
Encore un député qui quitte la république en marche ou s’en écarte. Les départs et prises de distance s’expliquent de deux manières. Il y a des divergences d’ordre idéologique mais aussi une sorte de fuite en avant. Après le désastre subi par la république en marche lors des élections municipales, nombre de députés de la majorité prennent conscience qu’ils ont peu de chances d’être réélu en 2022 sous la bannière de la république en marche.
( Interview dans le JDD)
Pourquoi quittez-vous La République en marche?
Pour que le monde d’après ne ressemble pas à celui d’avant en pire, un profond changement de logiciel est nécessaire. LREM ne peut pas l’opérer. En 2017, j’ai quitté le Parti socialiste parce qu’il n’était pas capable de dépasser ses frontières. Aujourd’hui, je quitte LREM exactement pour les mêmes raisons.
Que reprochez-vous à LREM?
Le mouvement n’a pas été capable de construire un corpus idéologique, de trouver des convergences avec d’autres partis ou des alliés au sein de la société. Par exemple, au lieu de réinventer les corps intermédiaires, on a voulu les faire disparaître! LREM n’a eu de cesse de répéter qu’il n’y avait point de salut en dehors d’elle, de refuser de voter tout ce qui venait des oppositions. Le mouvement ne peut donc apporter de réponses véritablement nouvelles à la crise et n’a plus la crédibilité pour créer des dynamiques collectives.
Etes-vous toujours macroniste?
Je ne regrette pas mon choix en 2017, je sais tout ce que je dois à Emmanuel Macron. Je reste persuadé que la politique qu’il a voulu mener était pour que des gens comme moi, issus d’un milieu modeste, aient leur chance. Cette promesse d’émancipation m’anime toujours : je suis macroniste en cela. Mais je suis un homme de gauche. Pour le rester, je dois quitter LREM.
Quittez-vous le groupe parlementaire?
Je quitterai très certainement le groupe.
Où siégerez-vous? Au sein du neuvième groupe?
Si une initiative qui prolonge le jour d’après trouvait sa place à l’Assemblée nationale, j’en ferais partie. Mais rien n’est arrêté, des discussions sont en cours. Et ce n’est pas le plus important. Ma seule motivation, c’est de contribuer à l’émergence de nouvelles forces collectives pour porter les aspirations populaires écologiques et de solidarité. Comme avec la plateforme « Le jour d’après », qui réunit 66 parlementaires de différents partis.
Serez-vous dans l’opposition ou dans la majorité présidentielle?
Je ne serai pas dans l’opposition. S’il faut choisir, je serai dans la majorité car je veux être constructif et obtenir des résultats pour les français. Mais avec une liberté absolue car ces étiquettes sont réductrices et ne correspondent plus vraiment à la réalité.
Pour faire avancer vos idées, n’était-il pas plus pertinent de rester au sein du parti au pouvoir?
« Le jour d’après » est plus utile que LREM pour porter les aspirations populaires à un changement de modèle. C’est très bien que Bruno Le Maire conditionne le report de charges pour les entreprises au non versement de dividendes, mais ça n’est qu’un tout petit pas. Il faut aller beaucoup plus loin. Nombre de députés LREM ont cette envie, mais le groupe parlementaire est devenu un frein. Parce que ce n’est pas du tout le logiciel de la majorité, qui érige par exemple la baisse des impôts de production pour les entreprises en priorité pour la sortie de crise et la contribution des plus aisés en tabou, qui pourrait pourtant financer la revalorisation des salaires des soignants, comme le propose Laurent Berger. Vendredi encore, une ordonnance a été votée pour faciliter le recours aux contrats très courts, en complète contradiction avec le système de bonus-malus prévu par la loi sur l’avenir professionnel, dont j’étais rapporteur à l’Assemblée.
Emmanuel Macron n’est-il pas capable « d’aller plus loin »?
On n’a plus le temps d’attendre. Je fais partie de ceux qui espèrent un tournant ; le Président peut le faire. Mais je veux agir en ce sens, tout ne doit pas passer par l’Etat ou le Président de la République, c’est un mal typiquement français. Et celui-ci devra pouvoir s’appuyer sur de nouvelles dynamiques collectives, car les forces conservatrices tireront dans l’autre sens.
Quel doit être ce tournant?
Il faut apporter à la France des oubliés la reconnaissance qu’elle mérite, pas seulement symbolique. Ceux qu’on n’entendait plus jusqu’à leur arrivée sur les ronds-points des Gilets jaunes sont les mêmes qui ont fait fonctionner les magasins, les hôpitaux pendant la crise. Il faudra revaloriser très franchement les carrières et les salaires des soignants et donner une priorité absolue à la santé. Le drame que nous avons connu dans les Ehpad, mais aussi, plus silencieusement, dans les foyers de travailleurs étrangers, ne doit pas se reproduire. Il faut cette grande loi qui donnera naissance à un nouveau service public de la dépendance. Mais certains diront qu’on ne peut plus agir du fait de l’énormité de la dette contractée. Sur la question écologique, un Green New Deal au niveau européen est nécessaire, mais un New Deal social est aussi indispensable au niveau national.
Comment se traduirait ce « New Deal social »?
On va avoir 500.000 chômeurs en plus dans les six prochains mois. Il faut un revenu d’existence dès 18 ans, poser de nouvelles régulations pour lutter contre l’optimisation fiscale des entreprises multinationales. Je m’inquiète aussi d’une explosion des expulsions locatives : on a besoin d’une assurance universelle sur les loyers impayés pour les propriétaires. Sinon, on aura de nouveaux bidonvilles en France et des interventions humanitaires seront nécessaires.
En quittant LREM, ne favorisez-vous pas la division plutôt qu’une démarche collective?
Ce serait vrai si LREM était capable de proposer une orientation politique qui intègre les impératifs sociaux et écologiques et de rassembler autour d’elle. On doit fonctionner autrement pour trouver des majorités de projet. Pendant des mois, on m’a fait des procès en traîtrise, pendant que LREM se refermait sur elle-même. Mais aujourd’hui, le mouvement est totalement isolé et se mue en parti utilitariste, qui propose, pendant la crise, des documents pour expliquer comment se laver les mains ou qui s’engouffre dans le solutionnisme technologique pour tracer les Français…
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LREM n’a-t-elle pas réussi à s’élargir en trouvant des alliés au Mouvement radical, chez Agir?
L’ouverture ne s’est faite que vers la droite. La promesse de LREM était de réunir des progressistes de gauche et de droite et d’abandonner les conservatismes. Aujourd’hui, les conservateurs sont aussi dans la majorité. On l’a vu sur la question de l’accueil des réfugiés, qui reste pour moi une grande déception. Même chose sur les libertés : comment un mouvement progressiste peut-il voter la loi anti-casseurs? Est-ce que des voix se sont élevées dans notre camp pour dénoncer les violences policières constatées dans les manifestations et dans les quartiers populaires? On a certes fait venir à nous d’autres forces politiques, mais sont-elles progressistes? Et de quel progrès parle-t-on? Celui-ci doit être humain, environnemental, social et s’appuyer sur les initiatives de la société civile engagée, dont LREM est aujourd’hui totalement coupée.
En 2022, ferez-vous campagne pour Emmanuel Macron?
Pour l’instant, la question n’est pas là. Je ne peux pas attendre un hypothétique deuxième quinquennat : je me bats pour que le Président prenne les décisions qu’il faut maintenant. Si des actes ne sont pas posés et qu’ils ne permettent pas à des coalitions d’un type nouveau d’émerger, les Français risquent de toute façon de choisir quelque chose de radicalement différent. Et la France pourrait alors, après l’Italie, les Etats-Unis, le Brésil, d’être la prochaine sur la liste du populisme. C’est ça qu’il faut à tout prix éviter.
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