Relancer l’audiovisuel après la crise sanitaire
Les spécialistes estiment que le secteur audiovisuel pourrait perdre un milliard d’euros à cause de la crise sanitaire qui paralyse le pays. Alors qu’un début de déconfinement se profile à compter du 11 mai, le secteur attend des soutiens de la part des pouvoirs publics. Roch-Olivier Maistre, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, livre à l’Opinion son analyse de la situation et son plan pour aider à une reprise rapide.( À noter aussi que les conséquences de la crise seront beaucoup plus dramatiques pour la presse écrite et notamment la presse régionale particulièrement touchée par les perturbations des modes de diffusion; plusieurs titres pourraient même être amenés à disparaître NDLR)
Comment jugez-vous la manière dont les médias audiovisuels ont traversé cette longue séquence de confinement ?
Le plus remarquable aura été leur capacité d’adaptation et leur forte résilience. Ce qui me marque également, c’est que le public est très fidèle à l’écran de télévision là où certains auraient pu penser que la consommation de vidéos sur les plateformes emporterait tout sur son passage. On oppose souvent linéaire et numérique ; or cette période nous permet de constater qu’en réalité, il existe une forme de complémentarité des usages. Enfin, je suis frappé, alors même que les audiences sont excellentes, par le séisme qui touche le secteur audiovisuel et dont les effets sont dévastateurs. C’est une onde de choc dont nous n’avons pas encore mesuré toutes les conséquences.
Face au séisme dont vous parlez, que propose le CSA pour permettre la relance du secteur ?
Nous sommes face à une crise dont les effets pour toute la filière de la création, des auteurs aux producteurs, vont se faire sentir dans la durée parce que les ressources des principaux financeurs de ce secteur, c’est-à-dire les contributions des chaînes assises sur le chiffre d’affaires, vont être fortement impactées. Le manque à gagner risque d’être très important. Pour y faire face nous devons commencer par redonner de l’oxygène au secteur, remettre du carburant dans le système.
Pour cela, il peut y avoir plusieurs pistes. D’abord, l’assouplissement du cadre réglementaire applicable à la publicité, qu’il s’agisse de la publicité en faveur du cinéma ou de la publicité segmentée, la plus prometteuse en termes de ressources. Nous avons été saisis du projet de décret par le gouvernement et le conseil rendra son avis d’ici une quinzaine de jours. Ces assouplissements nous paraissent importants parce qu’ils sont un moyen de dégager de nouvelles ressources. La deuxième piste, qui nous semble inéluctable, sera de conforter la trajectoire financière du service public. Certes, la redevance maintient l’essentiel des recettes mais il subit également un choc concernant les revenus publicitaires. La trajectoire telle qu’elle a été définie par l’Etat pour 2020 et 2021 devra donc nécessairement être réexaminée. Et j’ajoute qu’il nous semble plus urgent que jamais de lancer le chantier de la réforme de la contribution de l’audiovisuel public parce que l’échéance de 2022 approche. Sur ce point, le conseil plaide pour la conservation d’une ressource affectée et pérenne. Enfin, un autre facteur de relance important serait la mise en place d’un dispositif assurantiel pour les producteurs de l’audiovisuel et du cinéma. Alors que la crise n’est pas terminée, les tournages ne redémarreront que si l’on peut leur apporter plus de sécurité. Cela supposerait de mettre en place un dispositif spécifique porté par les assureurs et les pouvoirs publics, voire l’Union européenne.
« De notre point de vue, ce qui justifiait la modification de notre législation avant la crise est encore plus vrai aujourd’hui. Il est grand temps d’adapter le cadre législatif à notre nouvel environnement »
Concernant les moyens nouveaux, la loi audiovisuelle prévoyait notamment la transposition de la directive européenne SMA qui doit fixer des obligations aux plateformes vidéos. Comment voyez-vous sa mise en application alors que l’avenir de la loi semble compromis ?
C’est une piste urgente. Il s’agit vraiment du moyen le plus immédiat et le plus concret pour faire rentrer dans le financement de la création les nouveaux acteurs. S’il devait y avoir un décalage du projet de loi, une des priorités serait de transposer cette directive, quel qu’en soit le vecteur. Pour autant, j’ai écouté attentivement le président de la République et le gouvernement et je n’ai pas entendu à ce stade que cette loi était abandonnée. N’oublions pas qu’elle est déjà passée en commission des Affaires culturelles à l’Assemblée nationale. C’est donc un texte prêt à venir en séance publique. De notre point de vue, ce qui justifiait la modification de notre législation avant la crise est encore plus vrai aujourd’hui. Il est grand temps d’adapter le cadre législatif à notre nouvel environnement. Cela étant dit, j’insiste particulièrement sur la transposition de la directive SMA. Elle est impérative pour la survie même du secteur et nous souhaitons qu’elle puisse être transposée au plus vite. Cela demandera ensuite de rouvrir le chantier de la chronologie des médias. On ne peut pas demander aux plateformes de SVOD, comme Netflix, de participer à des hauteurs importantes au financement de la création et garder des fenêtres de diffusion aussi éloignées. Ce n’est pas crédible.
Les diffuseurs ont également fait part de leurs demandes de soutiens pour traverser cette période noire, que peut leur proposer le CSA ?
Pour garantir la pérennité de notre modèle, on pourrait déployer plusieurs dispositifs à vocation temporaire et si possible d’un coût budgétaire contenu. Une première idée serait de couvrir une partie des coûts de diffusion des éditeurs lorsqu’ils vont au-delà des 95 % de l’obligation de couverture du territoire imposée par la loi, un différentiel coûteux. Dans le même ordre d’idée, nous trouverions intéressant d’accompagner le déploiement du DAB+ par un dispositif de soutien transitoire d’aides directes à la diffusion. Enfin, pourquoi ne pas mettre en place un fonds d’urgence en direction des radios et télévisions locales qui sont percutées de plein fouet par la situation et qui ne disposent pas toujours d’actionnaires en mesure de les soutenir.
Une crise, c’est souvent l’occasion de grandes transformations que nous devons accompagner car ce que nous vivons va entraîner des mouvements de consolidation en Europe. Je pense que l’occasion est propice pour revisiter nos dispositifs anti-concentration. Cela fait de nombreuses années que tout le monde le dit, l’Autorité de la concurrence l’a exprimé dans un avis, le CSA également, ces dispositions sont anciennes. Nous devons profiter de la période actuelle pour rechercher un nouvel équilibre entre préservation de la concurrence et création de champions européens.
Et que pensez-vous du crédit d’impôt réclamé autant par les diffuseurs que par les annonceurs ?
C’est effectivement une piste qui semble créer une forme de consensus. A ce sujet, deux remarques : d’une part, les crédits d’impôt pèsent lourdement sur le budget de l’Etat, une centaine de milliards d’euros ; et d’autre part, leur efficacité n’est pas toujours pleinement démontrée. Le conseil trouve néanmoins l’idée intéressante parce qu’elle donnerait un signal à tout le secteur. Mais il faut qu’un tel dispositif soit ciblé. Cela veut dire limiter son accès aux achats d’espaces publicitaires ; et par ailleurs qu’il soit naturellement réservé aux médias qui contribuent au pluralisme, donc télévisions, radios, presse, en excluant les dépenses qui pourraient créer un effet d’aubaine pour les grands acteurs du numérique. Par ailleurs, ce crédit d’impôt devrait être limité dans le temps, par exemple sur le dernier semestre de l’année en cours. Si la dépense n’est pas encadrée, le risque est fort que le crédit d’impôt ne voie pas le jour.
Concernant les décrets qui doivent permettre de créer de nouveaux leviers de croissance pour les diffuseurs, ils tardent à venir et par ailleurs les chaînes se plaignent de la complexité du système, ne faudrait-il pas accélérer et simplifier ?
Les choses devraient se débloquer rapidement mais c’est vrai qu’il existe un paradoxe aujourd’hui. Les chaînes de télévision peuvent diffuser de la publicité pour Netflix mais ne peuvent pas le faire pour les films qu’elles-mêmes financent. Deuxième remarque : quand les salles de cinéma vont rouvrir, il sera précieux de pouvoir communiquer à la télévision sur les sorties de films. Ce sera un facteur de relance important. Nous partageons avec le ministère l’objectif de préserver une forme de diversité afin que les films à gros budget ne soient pas les seuls à pouvoir en bénéficier mais nous allons regarder le dispositif proposé qui nous semble, c’est vrai, un peu compliqué. Même chose concernant la publicité segmentée qui représente le plus de potentialités, il ne faudrait pas que l’encadrement réglementaire bride le dispositif. Nous allons y travailler et rendrons notre avis sous quinze jours. De la même façon, le décret assouplissant les jours interdits de cinéma à la télévision, sur lequel le CSA a rendu un avis favorable, gagnerait à être pris en publié sans tarder.
Toujours au sujet de France Télévisions, faut-il mener à bien l’idée du gouvernement et supprimer France 4 ?
C’est un choix qui appartient au gouvernement qui avait rendu un arbitrage en juin 2018. A ce stade, le décret modifiant le cahier des charges de France Télévisions n’a pas été publié et l’Etat n’a pas fait part au CSA de sa renonciation aux deux fréquences, celle de France 4 et celle de France Ô. La crise a aujourd’hui changé la donne et, comme l’a évoqué le ministre de la Culture, la question de la suppression de France 4 à l’été doit être reposée. Par ailleurs, ce qui fait le succès de France 4 dans cette période, ce sont surtout les programmes éducatifs. Ce sont eux qui singularisent le service public et conserver une telle offre peut avoir du sens.
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