Repenser la ville ?
Pour Patrick Nossent, président de Certivéa, le déconfinement qui se profile ne doit surtout pas signifier un retour précipité au monde d’avant. Une chronique intéressante et qui toutefois fait un peu l’impasse sur l’aménagement du territoire et la sur- urbanisation. ( Chronique dans la Tribune)
« Lorsque nous aurons dépassé cette crise sanitaire, nous devrons faire face à trois crises : environnementale, sanitaire et économique. Sur le plan environnemental tout d’abord, n’oublions pas que le changement climatique poursuit sa course folle. Il engendrera les chocs que nous connaissons bien désormais : canicules, inondations, tempêtes.
Pour les acteurs du bâtiment, la mobilisation doit être totale. D’une part dans la lutte contre ce changement climatique. Il faut pour cela atténuer notre pression exercée sur la planète en favorisant des modèles bas carbones, économes en énergie et en matériaux non-renouvelables, fondés notamment sur l’économie circulaire. D’autre part pour construire des bâtiments et plus largement des cadres de vies résilients permettant aux populations d’accéder à une meilleure qualité de vie tout en assurant une fonction de refuge.
La seconde crise qui nous attend sur le long terme est aussi sanitaire. En admettant l’idée que d’autres virus comme celui-ci pourraient de nouveau apparaître, il faut nous prémunir pour lutter contre leur propagation. Dans ce combat, le bâtiment a aussi un rôle central à jouer.
Le confinement nous a rappelé la fonction primaire de refuge d’un bâti. Mais il nous faut aller au-delà de cette fonction et nous améliorer. Nous avons besoin de bâtiments sains et modulables qui s’adaptent à nos besoins, en temps de crise mais pas seulement.
Un bâtiment sain c’est une meilleure qualité de l’air intérieur (ventilation, filtres, climatisation par zone, etc.) ; une meilleure qualité de l’eau et une meilleure qualité sanitaire des espaces (antibactériens et faciles à entretenir, ouverture des portes sans contact, séparation des flux de personnes, toilettes nettoyées automatiquement, etc.). Sur tous ces enjeux, on peut faire mieux et on doit faire mieux grâce aux innovations en conception, au choix des équipements et matériaux, mais aussi à l’intégration de systèmes de surveillance et de gestion des informations.
La flexibilité d’un bâti est aussi essentielle afin de moduler les zones en fonction des besoins : bureau à la maison, salles médicales, chambres résidentielles de transition, salles d’isolement et d’observation, réserves de fournitures, etc.
Les bâtiments, et sans doute en priorité les bâtiments publics, doivent pouvoir se transformer rapidement : une salle polyvalente doit pouvoir accueillir des populations sans abris, un centre de congrès peut devenir un hôpital de campagne, un village vacance peut servir de centre de quarantaine.
La mixité fonctionnelle pour la « ville des petites distances »
De même, nos villes et nos quartiers doivent pouvoir continuer à fonctionner, même en cas de restriction des déplacements grâce à un ensemble de services de proximité. Cela suppose qu’on reste vigilant quant à la mixité fonctionnelle, composante centrale de la « ville des petites distances ». Un territoire où l’on peut naviguer entre le travail, le logement, l’école et les commerces sans avoir à prendre sa voiture. Pour cela, il est primordial de faire coexister habitations, commerces, bureaux, etc. et d’en finir avec le zonage fonctionnel.
Des espaces de vie et d’échanges, même digitaux, essentiels à la qualité de vie en ville
La qualité de vie est aussi intrinsèquement liée aux interactions possibles entre les personnes. Partout en France, on a vu fleurir au fil de cette crise des initiatives solidaires entre voisins, entre génération. La ville doit pouvoir permettre l’éclosion de lieux de vies et d’échanges pour que vive l’esprit citoyen et solidaire.
Composante aussi essentielle de la qualité de vie, les outils numériques et la bonne connectivité dont nous bénéficions en France ont permis partout de ne pas rompre les liens durant ces dernières semaines : dialoguer avec les siens, travailler en équipe, poursuivre l’école à la maison, ou encore assurer la continuité du parcours de soin grâce à la télémédecine.
Les 5 leviers vers lesquels investir, au nom d’un monde durable
Pour les gouvernants en charge de coconstruire les plans de relance, l’équation relève de la quadrature du cercle. Comment sauver notre tissu économique et les milliers d’entreprises en danger, sans pour autant revenir au monde d’avant et son appétit destructeur pour la planète ?
Commençons par ne pas répéter nos erreurs et refusons d’axer les solutions, comme au lendemain de la crise de 2008, sur la seule recherche de la performance économique et financière pour favoriser au contraire des modèles de développement durables et responsables qui profitent à tous. Les mesures économiques et les aides versées aux entreprises doivent être vectrices de transformation vers un monde durable et résilient. Nous pouvons pour cela flécher les investissements autour de 5 grands enjeux :
1/ Les infrastructures durables (mobilités propres, énergie renouvelable…) pour diminuer les émissions de CO2 et améliorer la qualité de l’air sur le long terme. Un enjeu central puisque l’OMS estime que la pollution de l’air cause la mort prématurée de 2 millions de personnes dans le monde.
2/ La rénovation énergétique des bâtiments : bâtiments publics, tertiaires et logement. C’est bénéfique pour l’environnement et pour l’emploi et l’économie locale. Partout en France, des milliers d’artisans seront mobilisés. Un parc de bâtiment performant sur le plan énergétique, ce sont des économies d’énergie et ce sont des refuges confortables adaptés aux changements climatiques.
3/ Les circuits courts et pôles d’économies circulaires. Partout en France investissons pour permettre la pérennisation des circuits courts. Dans tous les secteurs d’activité, nous pouvons prévoir des filières de réparation, de réemploi et de recyclage. Lorsque cela est possible, la relocalisation de la production permet de limiter le risque de rupture de la chaîne d’approvisionnement.
4/ La biodiversité et agriculture urbaine. Cette période de crise nous a reconnecté avec la biodiversité et a démontré que l’agriculture urbaine n’est pas une initiative marginale mais bien une réponse à un besoin primaire pour les habitants des villes.
5/ Le numérique responsable, celui qui va nous permettre d’économiser de l’énergie, de partager les espaces et les services, de maintenir les personnes âgées à domicile dans de meilleures conditions…
Nous devons faire ces choix pour les générations futures et nous pouvons les faire. Des investissements massifs sont prévus pour sortir de la crise. Orientons-les vers des actions qui favorisent les transitions plutôt que vers celles qui tenteront de nous ramener dans le monde d’avant.
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(*) Certivéa est une filiale du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) proposant des labels et des certifications pour accompagner les acteurs du bâtiment et de l’immobilier »dans la progression de leurs performances durables en construction, rénovation et exploitation ainsi que dans leurs projets d’aménagement et d’infrastructures« .
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