Après la crise sanitaire, le prochain virus sera cyber». (Alain Bauer)
Après la crise sanitaire prochain virus pourrait bien être cyber d’après Alain Bauer, spécialiste en gestion de crise et criminologue.( Chronique dans l’Opinion )
« Philip K. Dick, le grand auteur américain de science-fiction, est revenu à la mode. Le Maître du haut château, en version web-série, nous fait vivre un monde dystopique en nous proposant une réalité alternative, du dernier conflit mondial à nos jours. Les vainqueurs remplaçant les vaincus, ce qu’on pourrait appeler une « vérité alternative » selon Fox News.
Ce que nous vivons dans notre réalité ressemble de plus en plus à une nouvelle version de Blade runner, du même auteur, dessinant une sombre réalité confortant les effets de la théorie du chaos et d’un « effet papillon » démultiplié en myriade de conséquences sanitaires, sociales, économiques, industrielles.
Choisir la vie ou l’économie ? Refonder le monde ? Casser la croissance ? Ces questions vitales ne sont pas nouvelles. Souvent le conservatisme, qui n’est pas seulement une idéologie mais aussi une pulsion naturelle plus ou moins contrariée, résiste au changement des modèles.
La tradition gouvernementale du mensonge plus ou moins relatif, l’incapacité à répondre clairement à une question précise par peur de la panique ou d’avouer son ignorance, ce bouclier de la parole qui enfume plutôt qu’elle n’éclaire, ont réduit la capacité de conviction des appareils d’État. Le confondant spectacle des messages sur le port du masque ou l’utilité des tests restera gravé dans les mémoires physiques et informatiques de la population.
En même temps, l’outil internet a produit des milliers de citoyens enquêteurs allant du meilleur (Bellingcat) au pire (les innombrables trolls déchaînés, solitaires ou mercenaires qui inondent l’espace virtuel). C’est aussi dans ce monde-là que le prochain virus se prépare, s’élabore, se teste.
Outre les innombrables attaques informatiques contre des particuliers, des entreprises ou des institutions, pour vendre de faux produits, de faux médicaments, de faux masques, qui relèvent de l’escroquerie traditionnelle et nécessitent une participation active de la victime trop confiante ou trop insouciante, on assiste à une diffusion exponentielle – virale donc – des rançongiciels et prise de contrôle des équipements informatiques et des stocks de données.
Après des tests menés depuis la fin d’année dernière par des hackers déterminés et coordonnés, des opérations massives ont commencé début 2020 contre de nombreuses cibles privées ou publiques (notamment Bouygues Construction ou les services de Marseille Métropole). Récemment, des attaques ciblées ont touché des institutions médicales, des hôpitaux en première ligne contre le Covid-19. Erreur de débutant, nouveau test de solidité des défenses de sécurité, opération de « profiteurs de guerre » utilisant des technologies modernes ?
«Nous sortirons de la crise sanitaire. Nous allons entrer dans la crise cyber, ce monde dont notre niveau de dépendance croit exponentiellement et qui ne s’y est guère préparé»
En tout état de cause, Interpol, Europol et la Global initiative against transnational organized crime ont sonné l’alarme sur ce qui est en train de se produire. Mais qui n’est rien au regard de ce qui se prépare.
Outre les effets criminels, la révolution qui s’amorce sur la gouvernance d’internet, l’apparition d’un nouveau monde mieux contrôlé par les Etats (New IP), défendu notamment par Huaweï et qui ne l’est pas seulement par la Chine et ses alliés naturels.
La guerre d’internet continue pendant la crise épidémique. Non seulement sur la 5G, sur le traçage des individus, sur la neutralité du net, sur le contrôle des données, mais aussi sur la gouvernance de l’outil. Certains fonctionnent déjà en mode dégradé et pourraient se passer du réseau mondial. D’autres n’ont pas encore pris la mesure de leur dépendance. La prochaine épreuve de souveraineté dépassera en ampleur celle des masques, des respirateurs ou des réactifs.
Nous sortirons de la crise sanitaire, à un prix humain hélas élevé mais en ayant sauvé l’essentiel et préservé la vie de nombreux citoyens, plus ou moins jeunes.
Nous allons entrer dans la crise cyber, ce monde dont notre niveau de dépendance croit exponentiellement et qui ne s’y est guère préparé. En tout cas pas plus que pour la crise sanitaire et pandémique. On en voit les effets.
Il est plus que temps d’éviter la prochaine. Contre tous les virus. »
Alain Bauer, spécialiste des gestions de crise, est professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers (équipe en émergence sécurité défense), à New York et à Shanghai.
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