« L’étatisation du biologique » ?
La chercheuse Annie Cot observe, dans une tribune au « Monde », que nous vivons un moment « foucaldien », lorsque l’Etat entend prendre le « biopouvoir », c’est-à-dire le contrôle de la vie et des corps des hommes.
« La crise déclenchée par la pandémie de Covid-19 incite à relire les passages que Michel Foucault (1926-1984) consacre aux concepts de biopouvoir et de biopolitique au milieu des années 1970. Il théorise ces derniers dans un chapitre de La Volonté de savoir (Gallimard, 1976), puis dans deux cours prononcés respectivement en 1976-1977 et 1977-1978 au Collège de France, Il faut défendre la société (Gallimard, 1997) et Sécurité, territoire, population.
Par « biopouvoir », le philosophe désigne un moment de transformation profonde du pouvoir politique. Ce dernier a longtemps eu pour objet le contrôle des comportements des citoyens, conçus comme des sujets de droit. Depuis le début du XIXe siècle, cet objet change de nature. Le pouvoir se concentre désormais sur la vie biologique : la vie des individus comme entités singulières, et la vie de la population, cette « multiplicité des hommes comme masse globale affectée de processus d’ensemble qui sont propres à la vie » (Il faut défendre la société, p. 216).
Là où le souverain avait le droit de « faire mourir ou laisser vivre » sans intervenir sur la vie quotidienne de ses sujets, le biopouvoir se donne la vie des individus pour objet et pour but. L’objectif s’est déplacé : il s’agit maintenant de « faire vivre ou de rejeter dans la mort » (La Volonté de savoir, p. 181). Ce processus d’étatisation du biologique, qui s’autorise une rationalité non plus liée à la souveraineté juridique, mais qui relève du libéralisme économique, concerne aussi bien les corps des individus – leur naissance, leur santé, leurs accidents, leur vieillesse, leur mort – que le corps collectif de l’espèce humaine.
La pandémie de Covid-19 pose à nouveaux frais cette question scientifique et politique qui définit la modernité des sociétés occidentales : comment assurer la sécurité sanitaire d’une population soumise aux risques et aux aléas du biologique ? Comment articuler le registre du corps de citoyens libres et celui du corps collectif de la population ? En l’occurrence, comment articuler la liberté de chacun avec les décisions qui s’imposent à l’espèce humaine tout entière ? »
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