Coronavirus «l’Etat a été le problème plus que la solution» (Jean-Louis Bourlanges)
Le député centriste Jean-Louis Bourlanges avait blâmé le gouvernement face à son choix de maintenir le premier tour des élections municipales. Depuis, il observe, silencieux, les répercussions du confinement. Pour l’Opinion, il analyse les failles que révèle cette crise sans égale.
Le gouvernement est attaqué de toutes parts sur sa gestion de la crise, notamment sur son impréparation et ses injonctions contradictoires. Souscrivez-vous à ces critiques ?
Non. Je crois que ceux qui les profèrent sont inconscients de l’ampleur et de la complexité du défi que nos sociétés, dirigeants et citoyens confondus, doivent relever. Jamais, au cours des derniers siècles, nous n’avons été confrontés à un virus aussi contagieux, aussi déroutant dans ses symptômes et aussi déconcertant dans son cheminement. Il n’était pas déraisonnable d’appeler en janvier les populations au sang froid dès lors que les précédentes vagues virales, le Sras ou le H1N1, n’avaient que marginalement atteint l’Europe. Sans doute le gouvernement a-t-il hésité, tâtonné et commis quelques erreurs mais mesure-t-on bien la cruauté inouïe du dilemme auquel il a été confronté : accepter des dizaines, voire des centaines de milliers de morts, ou confiner tout un peuple et faire sombrer l’économie dans un trou sans fond, avec à la clé une montagne prévisible de souffrances matérielles et morales ? Il ne faut souhaiter à personne d’avoir à faire de tels choix.
Je ne m’étais pas insurgé contre le maintien de ces élections, mais j’avais expliqué publiquement pourquoi le report était nécessaire. C’est à mon avis la seule erreur sérieuse du gouvernement que de les avoir maintenues. On ne pouvait à la fois s’engager, comme c’était inévitable, sur la voie du confinement entre les deux tours et maintenir le premier à la date prévue. Là, il y a eu injonction contradictoire : sortir pour voter, rester chez soi pour survivre. Ceux qui lui en font reproche aujourd’hui ne manquent toutefois pas de toupet car ils n’avaient pas eu de mots assez durs – « coup de force », voire « coup d’Etat » – pour stigmatiser une décision qui eût été parfaitement légitime.
L’évolution de la doctrine sur le port du masque n’est-elle pas de nature à décrédibiliser un peu plus encore la parole publique ?
Personne n’a jamais dit que les masques ne servaient à rien, mais c’est en découvrant l’incroyable contagiosité du virus qu’on a progressivement pris conscience de leur absolue nécessité. Le drame, c’est d’avoir dû gérer la pénurie artificiellement créée quelques années plus tôt par la destruction des stocks Bachelot. Là aussi, toutefois, soyons un peu humbles : que n’avait-on dit du gaspillage supposé de l’argent public entraîné par la fabrication de ces stocks !
Cette crise prouve-t-elle que l’union nationale est un concept révolu ou utopiste ?
Une union politicienne serait dérisoire ou monstrueuse, mais est-ce signe de passéisme ou d’utopie que d’espérer, face à une épreuve de cette sorte, voir un peuple gagné par la sagesse partager les vertus magnifiquement rappelées par la Reine d’Angleterre : l’autodiscipline, la détermination bienveillante et l’esprit de camaraderie ? Je vois bien qu’une France agressivement fragmentée n’a cessé ces dernières années de cultiver le complotisme et le ressentiment et je crains que la machine à se haïr ne soit menacée d’emballement. Il me semble malgré tout que les Français devraient faire l’effort de s’envisager au lieu de se dévisager.
Certains juristes s’étranglent des modalités du texte sur l’état d’urgence sanitaire et le gouvernement réfléchit à l’option du tracking pour repérer les malades lors du déconfinement. Faut-il sacrifier une part de nos libertés individuelles pour sauver des vies ?
Il y a deux ans, j’avais été plutôt réservé sur la démarche du gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme car il s’agissait alors d’inscrire dans le droit commun et dans la durée une partie, certes limitée mais quand même, des remises en cause circonstancielles de notre état de droit par l’état d’urgence. Aujourd’hui, il s’agit de conduire un processus inverse : autoriser en raison de circonstances exceptionnelles et pour une durée strictement limitée des dérogations à certaines garanties de droit commun. Bien sûr, il s’agit d’être très prudent pour veiller à ce que l’exception ne devienne pas la règle, mais sachons voir la gravité des enjeux en cause : réussir le déconfinement pour éviter un collapsus durable de l’économie. Je ne serais pas choqué par des dispositions autorisant le tracking si j’avais la garantie qu’elles ne survivraient pas à la période de déconfinement.
L’économie de notre pays est à l’arrêt et des voix s’élèvent partout pour dire que tout doit changer. Comment imaginez-vous le cahier des charges pour « le jour d’après » ?
Dire que tout doit changer sans jamais dire ce qui va changer, c’est s’exposer à ne rien changer du tout. Le pire scénario, et ce n’est pas le moins probable, c’est effectivement que rien ne change mais que tout se déglingue sur les trois plans économique, social et géopolitique. Pour conjurer ce risque, nous avons besoin de concevoir un scénario économique équilibré combinant soutien à la demande et à l’offre et se garder de faire des proclamations à l’emporte-pièce sur l’augmentation durable des transferts sociaux et l’accroissement souhaitable du rôle de l’état. Ce que révèle l’épreuve en cours, c’est que l’Etat a été le problème plus que la solution. Evitons le simplisme et reconnaissons en lui à la fois un irremplaçable assureur social, un redistributeur nécessaire mais guetté par l’embonpoint et un piètre gestionnaire de biens et de services. A l’heure des « faut qu’on » et des « y a qu’à », sommes-nous vraiment prêts à la nuance et à la modération ?
Cette crise va-t-elle automatiquement donner un coup d’arrêt à la mondialisation comme le prédisent certains ?
Je n’en crois pas un mot car, si on y regarde de près, rien dans cette crise n’est véritablement imputable à la mondialisation, sinon l’habitude difficile à contrecarrer d’aller les uns chez les autres. Pour casser durablement la chose, il faudrait que nous soyons capables de repenser en profondeur la division internationale du travail et d’en imposer autoritairement une nouvelle. « Vaste programme », aurait dit le général de Gaulle. La multilocalisation des grandes entreprises financières et industrielles restera la règle car elle est dictée par la demande. Je crois en revanche qu’on observera une certaine relocalisation de la production/consommation agricole ainsi qu’une remise en cause des excès en matière de stockage et de flux tendus. La seule chose qui va toutefois compter, c’est l’ampleur des destructions de valeur et des pertes d’emploi.
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