« Crise possible aussi dans les banques» ?
Gwenhaël Le Boulay, directeur associé du Boston consulting group (BCG), estime que les banques ne sont pas à l’abri de graves conséquences de la crise sanitaire en raison notamment des risques d’insolvabilité de certains clients (interview dans l’opinion )
Le secteur financier est-il armé pour affronter la récession qui s’annonce ?
Personne n’est 100 % armé pour ce qui arrive, ni les banques, ni aucun autre secteur, ni les Français. Ce choc complètement inédit sera d’une violence inouïe. Tout le monde est sur le pont en Europe pour préparer l’arrivée de la tempête dans laquelle l’Italie est déjà plongée. Les banques ont des plans de continuité d’activité, réglementairement obligatoires, qui organisent leur fonctionnement, par exemple si un site est empêché. Ces plans sont mis à rude épreuve car l’épidémie de Covid-19 est à une échelle probablement pas anticipée. Comme dans toutes les entreprises, il faut réinventer le mode de travail. Des établissements ferment des agences, en ouvrent d’autres à des horaires décalés, les équipes se croisent pour ne pas se contaminer, le télétravail se déploie à une échelle inédite. Tout est sous pression, y compris la sécurité informatique.
Les banques anticipent-elles déjà les défaillances d’une partie de leur clientèle ?
Un certain nombre de leurs clients, surtout les petites entreprises, risquent de se retrouver rapidement dans une situation de détresse financière. Il faut prolonger la durée des prêts, des lignes de crédit… Toute l’adaptation de cet arsenal est en cours. En Asie, les moratoires sur les prêts immobiliers et d’entreprises se sont multipliés. Cela va arriver chez nous. Le deuxième choc, c’est la récession qui a débuté. Elle va entraîner une montée des risques de crédit, de marché et opérationnels, c’est inévitable. Bien sûr, des programmes de soutien gouvernementaux se déploient partout. La France a promis un plan massif d’aide à l’économie, cela va faire tenir les choses dans l’immédiat. Mais dans certains secteurs, l’activité s’est totalement arrêtée. Plus la panne économique va durer, plus il sera difficile d’empêcher des défaillances. Quoi qu’il en soit, le coût du risque va forcément grimper dans les comptes de résultat bancaires. Nous en sommes au stade des simulations mais, dans notre scénario médian, ce coût du risque sera deux ou trois fois plus élevé. Et on ne parle pas du scénario noir !
Derrière la crise économique, va-t-on pouvoir échapper à une crise du système financier ?
Contrairement à la crise de 2008-2009 qui était fondamentalement financière, avant de contaminer l’économie réelle, celle-ci démarre par une crise sanitaire qui génère un choc d’offre et de demande extrêmement profond. Si on est pessimiste, le choc financier peut venir de deux sources. La première, c’est l’effet domino du deuxième choc : un gros volume de défaillances d’entreprises affectant des banques très exposées à des secteurs particulièrement touchés. Je pense notamment au pétrole dont les cours, qui ont violemment chuté, peuvent faire couler de grands acteurs à l’international ou des sous-traitants. Il y a aussi le cas des banques exposées à certaines zones géographiques mondiales qui vont beaucoup souffrir. Si la crise d’offre et de demande dure, cela peut provoquer de grandes difficultés dans le monde bancaire.
«Les banques sont plus capitalisées qu’en 2008, elles disposent de coussins de liquidités, c’est rassurant. Mais la part des activités financières non bancaires, et non régulées, a énormément grossi»
Qu’elle est l’autre source possible de crise financière ?
Une crise plus directe, via la disparition de la confiance sur les marchés financiers. On l’a vécu récemment à la Bourse et sur des emprunts publics et d’entreprises. Les banques centrales ont sorti le bazooka pour assurer la liquidité interbancaire. La Fed américaine a injecté la semaine dernière trois fois 500 milliards de dollars pour fluidifier notamment le marché du « Repo » américain. La BCE vient d’annoncer un gigantesque programme de rachats d’actifs. Tout cela vise à éviter que l’irrigation de la machine économique se bloque. Les banques sont plus capitalisées qu’en 2008, elles disposent de coussins de liquidités, c’est rassurant. Mais la part des activités financières non bancaires, et non régulées, a énormément grossi autour des fonds de pension, des hedge funds, des fonds d’investissement. Ce shadow banking a atteint une taille colossale. Il a beaucoup investi dans tous les secteurs de l’économie, il a des liens avec l’ensemble de l’écosystème financier, et pourrait connaître des difficultés, via un choc de confiance sur les marchés.
Les investisseurs pourraient-ils perdre confiance dans les banques centrales ?
Pour l’instant, le système tient très bien. En août 2007, la Fed américaine avait commencé à déverser des liquidités dans le marché, et cela a tenu jusqu’à la faillite de Lehman Brothers. Ce qui est un peu inquiétant aujourd’hui, c’est que le niveau de coordination entre autorités publiques, banques centrales et gouvernements est moins abouti qu’à l’époque.
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