Retraites et pénibilité : agir sur la conception du travail »
Une réforme qui ne prend pas en compte la pénibilité pour fixer un âge de départ ne peut être juste et équitable, pointe, dans une tribune au « Monde », un collectif de quatre ergonomes.
Tribune
. Equipé d’un voice-picking donneur d’ordres [système permettant la préparation de commandes guidée par reconnaissance vocale], ce travailleur d’un entrepôt, ouvrier des temps modernes, soulève huit tonnes par jour. Ce n’est pas assez. Son mal de dos ne cède pas, il doit quitter son emploi. Cette caissière, elle, ne soulève « que » cinq tonnes par jour en horaires coupés, à un rythme effréné et en souriant : c’est la règle. Lui est cadre. Il travaille tard le soir, la nuit, les fins de semaine, cherchant à faire correspondre les indicateurs de performance et les résultats de ses équipes. Ça ne colle pas toujours, il ne dort plus, le corps lâche, c’est le burn-out. Pour cette aide-soignante en gérontologie, transmettre son métier aux nouvelles devient insoutenable, sauf à transmettre du sale boulot. Pas assez de temps, pas assez d’effectifs.
Du misérabilisme ? Non, le quotidien d’un grand nombre d’actifs. Une réforme des retraites sans prendre en compte les réalités du travail, sans politique incitative pour un travail soutenable ne peut être juste et équitable. Un travail soutenable, c’est un travail qui n’expose pas à des nuisances, ne crée pas de pathologies persistantes, n’évince ni les plus vieux, ni les plus jeunes, ni ceux ayant des problèmes de santé. Un travail qui repose sur la confiance dans l’intelligence de celles et ceux qui le font. Un travail soutenable, c’est aussi celui qui assure les conditions d’un parcours professionnel durable, qui produit de la valeur économique et sociale, en plus d’en avoir aux yeux de ceux qui le font. Le chantier est certes audacieux, mais pas hors de portée.
Le taux de chômage des plus de 50 ans a triplé entre 2008 et 2019 et parmi les 60-64 ans, ceux qui perçoivent l’allocation adulte handicapé ont augmenté de 192 % depuis 2010 ; selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, 40 % des personnes interrogées disent ne pas se sentir capables de faire le même travail jusqu’à 60 ans ou jusqu’à l’âge de la retraite. La probabilité de mourir avant 60 ans chez les hommes ouvriers est deux fois plus élevée que chez les hommes cadres (13 % contre 6 %). L’espérance de vie sans incapacité entérine ces inégalités.
Agir sur les causes de ces injustices sociales, c’est agir sur la conception du travail, ce que défend l’ergonomie. Notre pays est doté d’organismes publics, d’acteurs de la prévention, de chercheurs en santé au travail, détenteurs de connaissances et de méthodes, qui ne demandent qu’à être pris au sérieux. Se priver de leurs éclairages, au-delà des apports essentiels des enquêtes nationales de la Dares, et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) paraît surréaliste.
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