Extraterritorialité du droit américain : une forme de dictature

L’extraterritorialité du droit américain: une forme de dictature

L’extraterritorialité du droit américain à l’évidence constitue un véritable viol de la souveraineté des Etats et une sorte de nouveau colonialisme économique. En outre si chaque pays entendait agir ainsi le monde serait alors  livrer au chaos le plus total sur le plan juridique. En fait, l’imposition du droit américain à l’extérieur de ses frontières constitue un élément de sa guerre économique. Ce que Ludovic Lassauce, chef d’entreprise démontre dans une interview au Monde

« Selon un rapport parlementaire remis au Premier ministre Edouard Philippe en juin dernier, on constate

 la prolifération de lois à portée extraterritoriale (…) permettant aux autorités de la première puissance mondiale d’enquêter, de poursuivre et de condamner (…) les pratiques commerciales d’entreprises et d’individus du monde entier ». Autant de procédures qui « violent la souveraineté des pays dont ces (acteurs) sont ressortissants », conduisant à des sanctions « disproportionnées » ne poursuivant pour seul but que de les « fragiliser dans la compétition internationale ».

De fait, le tableau de chasse de l’Oncle Sam est « édifiant » et a de quoi donner le tournis. D’innombrables banques – BNP Paribas, Commerzbank, HSBC, Crédit agricole, ING, Bank of Tokyo, etc. -, mais aussi de grands fleurons industriels européens – Siemens, Alstom, Total, Volkswagen, etc. – ont ainsi eu affaire à la justice américaine.

En vingt ans, poursuivent les auteurs du rapport précité, « plusieurs dizaines de milliards de dollars d’amendes ont été réclamés (à des entités étrangères) alors même qu’aucune de (leurs pratiques incriminées) n’avait de lien direct avec le territoire des Etats-Unis ». En 2018, Royal Bank of Scotland s’est ainsi vue infliger une amende de 4,9 milliards de dollars pour ses mauvaises pratiques lors de la dernière crise financière – un comble, cette dernière s’étant principalement déclenchée en raison de l’incurie des banques… américaines. Même le célèbre secret bancaire helvète ne résiste pas à ce racket généralisé, le Crédit Suisse ayant écopé, quatre ans plus tôt, d’une amende de 2,6 milliards de dollars pour avoir aidé plusieurs milliers de ses clients à frauder le fisc américain.

Le concept d’extraterritorialité est d’autant plus insidieux qu’il est large. Il s’applique, par exemple, aux opérations informatiques transitant par des serveurs hébergés aux Etats-Unis, ou encore à toute transaction potentiellement frauduleuse réalisée en dollars. Et les multinationales ne sont pas les seules concernées, loin s’en faut : le glaive américain s’abat aussi, périodiquement, sur des individus que Washington considère comme des adversaires politiques. A l’image de l’homme d’affaires ukrainien Dimitry Firtash, accusé de corruption en dollars et assigné, depuis plusieurs années, à résidence à Vienne, la capitale autrichienne, où il a été arrêté sous mandat américain.

Que lui est-il reproché précisément ? D’avoir corrompu des officiels indiens pour sécuriser l’obtention de mines de titane. Les Etats-Unis, qui n’ignorent pas que Firtash est un proche de l’ancien président ukrainien Viktor Ianoukovytch – et donc dans les petits papiers du Kremlin -, tentent obstinément d’arracher son extradition vers leur territoire. Membre de l’équipe de Robert Mueller en charge de faire la lumière sur les possibles ingérences russes dans la dernière campagne présidentielle américaine, Andrew Weissmann aurait proposé à Dimitry Firtash un deal : livrer des informations au sujet du Russiagate en échange de l’abandon des poursuites le concernant. Le refus de l’homme d’affaires ukrainien expliquerait l’acharnement judiciaire dont il fait l’objet – et les réticences de Vienne, pas dupe des intentions politiques de Washington, à accéder à sa demande d’extradition.

De la même manière, les États-Unis (sous l’impulsion de l’opposition à l’administration Trump), n’ont pas hésité à user d’un droit d’ingérence totalement illégitime et sans fondement sur la situation à Hong Kong, en légiférant sous prétexte de droits de l’Homme. C’est un peu l’hôpital qui se moque de la charité, quand on voit comment cette même opposition a usé de tant de subterfuges pour déstabiliser l’élection du président Trump. Respect de principes à géométrie variable… Comment peut-on avoir encore confiance en un pays censé représenter la liberté, la justice et porter les valeurs de nos démocraties occidentales avec de telles pratiques ?

En Europe, chaque entreprise, chaque individu ou presque, peut un jour tomber sous le coup de la justice américaine. Nos entreprises sont, de fait, et comme le rappellent les auteurs du dernier rapport parlementaire sur le sujet, « prises en otage par ces procédures américaines, coincées entre le marteau et l’enclume dans un processus de  »négociation » de façade, aggravé par un chantage à l’accès au marché américain ».
Cette guerre juridique est d’autant plus illégitime d’un point de vue du droit international qu’elle est unilatérale. En effet, la réciprocité semble ne pas s’appliquer lorsqu’il s’agit de ressortissants américains soupçonnés de mêmes pratiques de corruption.

Le blog de Charles Gave présente ainsi les dessous plutôt inquiétants de l’affaire ukrainienne où l’ancienne administration américaine n’a pas hésité à fermer les yeux dans l’implication de ses ressortissants. Mais, de la même manière, dans le cadre de l’échange des données fiscales entre banques et pays afin, soi-disant, d’aider à la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment, les États-Unis sont le seul pays n’ayant pas ratifié le traité permettant à d’autres nations de récupérer auprès de banques américaines les informations sur les comptes off-shore de leurs citoyens.

Pour répondre à cette offensive tous azimuts, le député Raphaël Gauvin propose, dans son rapport, de mieux protéger la confidentialité des avis juridiques en entreprise, en créant un statut d’avocat en entreprise, chargé, en quelque sorte, d’utiliser et retourner le droit américain contre lui-même ; de moderniser la loi de 1968, dite « de blocage » ; et d’étendre le RGPD européen aux données des personnes morales, ce qui permettrait de sanctionner les hébergeurs transmettant les données d’entreprises françaises à des autorités étrangères « en dehors des canaux de l’entraide administrative ou judiciaire ». Autant de mesures de bon sens, qu’il convient d’adopter urgemment pour nous prémunir du scandale de l’extraterritorialité du droit américain. »

 

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