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Réforme des retraites : le détournement social (Anne-Marie Guillemard)

Réforme des retraites : le détournement social (Anne-Marie Guillemard)

La sociologue Anne-Marie Guillemard, membre du Conseil d’orientation des retraites, regrette, dans un entretien au « Monde », que la réforme actuelle soit guidée par une logique exclusivement comptable.

 

Interreview

 Sociologue, professeure émérite à l’université Paris-Descartes – Sorbonne, membre du Conseil d’orientation des retraites, Anne-Marie Guillemard est spécialiste du vieillissement et de la comparaison internationale des systèmes de protection sociale. Elle a notamment écrit Où va la protection sociale ? (PUF, 2008) et Les Défis du vieillissement (Armand Colin, 2010).

Comment vivez-vous les derniers rebondissements de la crise sociale autour de la réforme des retraites ?

Comme un immense gâchis. L’échec de la réforme Juppé, en 1995, avait gelé pour vingt-cinq ans toute possibilité de réforme des régimes spéciaux ; celui de la réforme Delevoye – car c’est un échec – risque de geler pour vingt-cinq ans toute possibilité de réforme du régime par répartition. La défiance des Français, principalement des jeunes, à l’égard du système était déjà très forte, et la réforme telle qu’elle était à l’origine visait à rétablir la confiance. Mais son détournement par la droite fait que le niveau de défiance a maintenant atteint 100 %. Un système par répartition ne peut fonctionner sans confiance. C’est une catastrophe.

Pourquoi parlez-vous de « détournement » ?

Dans les années 1990, un peu partout dans les pays développés, le débat sur la protection sociale avait adopté une logique quantitative : il s’agissait de « maîtriser les dépenses ». La France y avait en partie échappé. La réforme Balladur de 1993, la première qui tient compte de l’allongement de l’espérance de vie, étend certes le calcul des pensions aux 25 meilleures années pour le régime général et l’indexe sur les prix, mais elle est très graduelle. La réforme Juppé, on le sait, est tout simplement annulée. La réforme Fillon de 2003 est encore assez équilibrée, car elle porte sur une augmentation progressive de la durée de cotisations, sans toucher directement à l’âge de départ – c’est aussi le cas de son accélération par la loi Touraine de 2014, qui conduisait à un âge de départ moyen à 64 ans en… 2037. Surtout, la réforme Fillon prévoyait de développer l’emploi des seniors. Mais ça a malheureusement été un échec : il n’a commencé qu’en 2006, a été freiné par les réticences patronales et le manque de volonté politique, et il ne s’est traduit que par la mise en place de quelques CDD seniors.

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