« Aucune urgence à prendre des mesures d’économie » (Hervé Le Bras )
Hervé Le Bras, Démographe, spécialiste des migrations, chercheur émérite à l’Institut national d’études démographiques (INED) et historien à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) estime, que l’équilibre du système n’exige pas de mesures financières importantes, telles que l’instauration d’un âge pivot.(trinune au Monde, extraits).
« A l’unisson, les membres du gouvernement, Edouard Philippe en tête, clament que notre système de retraite est au bord du gouffre et que l’instauration d’un âge pivot est une mesure incontournable pour le sauver. Ils brandissent à cet effet le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR). Or la lecture du rapport ne donne pas l’impression d’une urgence absolue. Dès son premier graphique, le COR montre que les dépenses du système de retraite, qui dépassaient encore 14 % du PIB en 2016, sont passées au-dessous (13,7 % en 2018). Quelle que soit la croissance économique, atone ou vigoureuse, elles ne dépasseront pas 14 %, à l’horizon de la projection en 2030.
Ensuite, les graphiques du rapport du COR estiment le solde du système selon trois hypothèses. Dans le cas le plus souhaitable où l’Etat maintiendrait ses interventions financières au taux actuel, le déficit en 2023 ne serait que de 0,2 % du PIB, deux millièmes autrement dit, ou 5 milliards d’euros. Quand on a vu l’Etat lâcher 17 milliards pour calmer la révolte des « gilets jaunes », il ne semble pas qu’un déficit de 5 milliards soit insurmontable et qu’il ne puisse pas être résorbé par des mesures paramétriques relativement modestes, en réunissant vers 2022 les partenaires sociaux pour en décider à court terme, en connaissance de cause.
Le déficit prévu s’explique par le retrait de l’Etat et non par des raisons économiques ou démographiques
Dans les deux autres hypothèses du COR, le déficit est plus élevé car l’intervention de l’Etat se réduit. Les motifs de la réduction sont nombreux et complexes. Les cotisations représentent 80 % des ressources, mais les 20 % restants dépendent de nombreux dispositifs d’Etat : compensation des exonérations sur les bas salaires, subventions aux régimes spéciaux en raison d’une pyramide d’âge défavorable, compensations du chômage et des prestations familiales, etc. Or ces deux hypothèses défavorables du COR supposent une baisse importante des subventions, de 25 % de leur montant pour l’une, de 12 % pour l’autre, à l’horizon 2030, notamment à cause des mesures prises en faveur des « gilets jaunes ».
Dans sa conclusion, le COR reconnaît (p. 59) que « le déficit n’est pas lié à l’évolution des dépenses de retraite dont la part dans le PIB reste constante. Il s’explique par la diminution des ressources du système de retraite. Cette baisse s’explique elle-même pour l’essentiel par une diminution, en pourcentage du PIB, de la contribution de diverses entités publiques (Etat, administrations publiques locales, CNAF, Unédic) ». Dit de manière plus directe, le déficit prévu s’explique par le retrait de l’Etat et non par des raisons économiques ou démographiques. L’âge pivot a donc pour but de compenser le retrait de l’Etat alors que si celui-ci maintenait sa contribution, comme le suppose la première hypothèse du COR, le déficit resterait minime. »
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