FDJ: une privatisation inutile (Par Laurent Pahpy, ingénieur, analyste pour l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF) .
« D’ordinaire, privatisation rime avec réduction du périmètre de l’État et gains de productivité. Une excellente nouvelle en ces temps d’omnipotence administrative et de dépenses publiques record.
Ne faudrait-il donc pas se réjouir que le gouvernement cède les capitaux qu’il détient au sein de la Française des jeux (FDJ) ? Tout le monde s’accordera pour dire que ce n’est probablement pas le rôle de fonctionnaires que de s’occuper de loteries, de jeux de grattage et autres paris sportifs.
Si l’appel à l’épargne populaire pour cette opération semble avoir remporté un franc succès ces derniers jours, la privatisation de la rente de la Française des jeux pour créer un fonds pour l’innovation de rupture illustre toutefois l’incapacité de l’État à mener un véritable et nécessaire dégraissage. Cette privatisation souffre de nombreux défauts qui risquent de lui faire perdre tout son intérêt.
Pourquoi privatiser ? Responsabiliser les actionnaires, inciter à la compétitivité grâce à la menace de la concurrence, favoriser l’innovation et la qualité du service pour rester dans la course, les avantages de l’économie de marché sont nombreux pour les consommateurs. Aucun Français ne souhaite d’ailleurs revenir aux monopoles de France Telecom ou d’Air Inter.
Une bonne privatisation implique une ouverture à la concurrence. Or la FDJ détient un monopole sur la loterie et les jeux de grattage ainsi que sur les paris sportifs en distribution physique. Un privilège qui n’est pas près de disparaître et que l’entreprise paie 380 millions d’euros à l’État. La loi Pacte le garantit pour un quart de siècle, jusqu’en 2044.
Le maintien de barrières réglementaires contre les nouveaux entrants risque d’entretenir une rente légale pour tous ceux qui tirent profit des activités de la FDJ, au détriment des consommateurs de jeux d’argent.
Le gouvernement veut diminuer sa participation de 72 % à environ 20 % dans la FDJ. Il s’agit donc d’une privatisation très partielle puisque l’État sera toujours le premier actionnaire.
20 % des actions, mais près de 30 % des droits de vote, de quoi peser dans les assemblées générales. Bercy, le ministère de tutelle, restera aux manettes grâce à un cahier des charges contraignant, imposé par l’État à la FDJ. Il continuera d’agréer les dirigeants de l’entreprise et contrôlera les prises de participations éventuelles de plus de 10 %. Une nouvelle autorité nationale des jeux sera créée à cette occasion.
La dernière controverse en date avec la nomination de Raphaële Rabatel, épouse du chef de file des députés LREM Gilles Le Gendre, comme directrice de la communication de la FDJ, juste après le vote pour la privatisation en avril de cette année, illustre le risque de corruption et de capitalisme de connivence.
La FDJ est aussi un instrument électoraliste puissant. Le financement des activités sportives pèse près de 90 millions d’euros chaque année grâce à un prélèvement sur les mises et jeux à destination de l’agence nationale du sport. La FDJ revendique avoir investi 5 milliards d’euros dans les infrastructures sportives depuis 40 ans et a soutenu la candidature de la ville de Paris pour les Jeux olympiques de 2024.
La FDJ finance aussi à près de 785 millions d’euros chaque année le réseau très dense des 30.000 détaillants. Avec le puissant lobby des buralistes et la désertification des campagnes, le maillage territorial de la FDJ, source d’activité et de vie rurale dans les villages de France, pourra être difficilement remis en question dans la stratégie de l’entreprise.
Avec un État qui reste aux commandes, la privatisation perd de son avantage. La FDJ continuera de subir les pressions électoralistes du gouvernement, des connivences politiques et des groupes d’intérêt qui restreindront sa marche de manœuvre dans le déploiement de sa stratégie commerciale.
Anciennement loterie nationale, le monopole de la FDJ trouve ses origines dans un édit du roi François Ier du 21 mai 1539. Depuis toujours, les jeux d’argent sont une manne pour l’administration qui y voit une excellente forme de taxation particulièrement indolore.
Privatisation ou non, cela ne devrait pas changer. La FDJ reverse 22 % des mises à l’État, soit 3,5 milliards d’euros en 2018. À titre de comparaison, ce montant annuel est bien plus important que les 2 milliards d’euros que le gouvernement empochera avec la cession de ses parts. Une taxation élevée dont l’incidence affecte à la fois le prix des jeux pour les consommateurs et les dividendes pour les actionnaires.
Le fruit de la cession des capitaux ne servira que très partiellement à réduire la dette, et certainement pas à baisser les impôts, car il est prévu qu’il abonde un « fonds pour l’innovation de rupture ». Ce dernier sera orienté vers des investissements dans des projets tels que le calcul quantique ou l’intelligence artificielle. Le poids de l’État ne sera donc pas réduit dans cette opération.
Dans ces conditions, le gouvernement pourrait réussir l’exploit du supprimer une bonne partie de l’utilité de la privatisation pour les consommateurs, les contribuables et les actionnaires.
L’État privatise en réalité une rente légale dans laquelle il continuera de se servir allègrement tout en en gardant le contrôle. Le fruit de la cession ne diminuera pas le fardeau fiscal ni participera au rétablissement de l’équilibre des comptes des administrations, mais risque plutôt d’être gaspillé dans des projets sans lendemain. Décidément, les dés de cette privatisation semblent bel et bien pipés. »
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