Politique accommodante des banques centrales : un danger pour les monnaies
Patrick Artus , économiste à Natixis s’inquiète de l’enflure des bilans des banques centrales qui pourraient menacer les monnaies (Tribune du Monde- extrait). D’après lui, les politiques monétaires ultraexpansionnistes pratiquées par les banques centrales entraînent un surcroît de défiance à l’égard des monnaies courantes qui devrait profiter aux cryptomonnaies, comme le bitcoin ou le libra.
Tribune
« Les banques centrales des pays de l’OCDE mènent, depuis 2008, une politique monétaire ultraexpansionniste : le taux d’intervention de la Reserve fédérale est aujourd’hui de 2 %, ceux de la Banque centrale européenne de 0 % et – 0,5 %, celui de la Banque d’Angleterre de 0,75 %, celui de la Banque du Japon de 0 % : dans tous les cas, les taux d’intérêt sont considérablement plus bas que les taux de croissance.
De 2008 à 2019, la taille du bilan de la banque centrale est passée de 900 à 3 900 milliards de dollars aux Etats-Unis, de 900 à 3 100 milliards d’euros dans la zone euro, de 80 à 570 milliards de livres sterling au Royaume-Uni, et de 120 à 570 millions de yens au Japon. On sait que c’est la taille du stock d’obligations acheté par la banque centrale qui détermine les taux d’intérêt à long terme, pas les flux d’achats d’obligations. Le niveau très élevé de la taille des bilans des banques centrales explique que les taux d’intérêt à long terme soient très bas : pour les taux d’intérêt à dix ans, 1,8 % aux Etats-Unis, – 0,2 % au Japon, – 0,5 % en Allemagne, 0,7 % au Royaume-Uni.
Les risques associés à l’expansion continuelle des bilans des banques centrales ne sont pas souvent analysés. La taille de leurs bilans est pourtant passée de 2 200 milliards de dollars en 1996 à 23 000 milliards de dollars aujourd’hui pour l’ensemble d’entre elles, une multiplication par plus de 10 ! Et cette expansion va continuer : que cela soit par la BCE, la Banque du Japon ou la Réserve fédérale. Jusqu’à présent, la « vieille macroéconomie » suggérait que l’excès de création monétaire par les banques centrales conduisait à l’inflation. Mais on voit clairement que ce n’est plus le cas. L’inflation reste extrêmement faible (hors pétrole, 1,5 % aux Etats-Unis, 1,0 % dans la zone euro, 0,6 % au Japon).
Le vrai risque aujourd’hui lié à l’expansion continuelle des bilans des banques centrales est la « fuite devant la monnaie ». Dans un petit pays de l’OCDE, ou dans un pays émergent, si la banque centrale crée trop de monnaie, les agents économiques du pays se mettent à craindre la perte de valeur de cette monnaie, et s’en protègent en se réfugiant dans des monnaies étrangères, en particulier le dollar. Par exemple, en Turquie, la base monétaire (la liquidité créée par la banque centrale) est passée de 120 milliards de livres en 2012 à 530 milliards en 2019, et le taux de change sur la même période est passé de 1,9 livre par dollar à 5,80 livres par dollar. En Argentine, la base monétaire est passée de 200 milliards de pesos en 2012 à 1 250 milliards de pesos en 2019, et le taux de change sur la même période est passé de 5 pesos par dollar à 58 pesos par dollar. Dans ces pays, la fuite devant la monnaie causée par l’excès de création monétaire conduit à de violentes sorties de capitaux et à une très forte dépréciation du taux de change…… »
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