Le populisme, pourquoi ? ( Yann Algan, économiste)

le populisme, pourquoi ? ( Yann Algan, économiste)

Yann Algan, économiste,  doyen de l’école d’Affaires publiques à Sciences-Po Paris analyse dans La Tribune les mouvements populistes qui ont émergé un peu partout dans le monde ces dernières années et sur leurs ressorts particuliers.

 

Trump, le Brexit, la Ligue en Italie, l’AFD en Allemagne, le FPO en Autriche… quel est le rôle de la mondialisation dans la montée des forces antisystèmes ?

YANN ALGAN - Tous ces événements rappellent que les principaux risques aujourd’hui sont politiques. L’incertitude est avant tout politique en particulier avec la montée des populismes à l’instar du flou sur le Brexit, sur l’Italie, sur Trump. Le premier facteur qui permet d’expliquer ce phénomène est d’ordre économique. Nous avons montré grâce à une base de données inédite, aussi bien en France que dans les pays européens ou aux États-Unis, qu’il y a une très grande défiance des citoyens à l’égard des institutions et que cette défiance repose sur un facteur économique. La mondialisation joue un rôle au même titre que la crise financière qui a déjà été un premier cataclysme, ou la numérisation de notre économie.

Comment expliquer cette défiance grandissante des citoyens ? 

La défiance peut s’expliquer par l’incapacité des institutions à protéger les citoyens contre les dérèglements du capitalisme. C’est une vraie faillite de ces dernières années. Dans l’ouvrage(*), nous montrons qu’aux États-Unis, les destructions d’emplois dans l’industrie, qui sont le plus exposés au commerce international, correspondent aux régions où les citoyens ont privilégié le vote populiste. Les travaux de l’économiste David Autor du Massachussets Institute of Technology (MIT) ont illustré à quel point le vote Trump est lié à l’exposition du commerce international avec la Chine. On retrouve les mêmes résultats pour expliquer le Brexit ou la montée des populismes en Europe. Les citoyens étaient en attente d’être protégés face à ces risques avec des mesures de protection, de formation ou de reclassement. Il y a eu un sentiment d’être laissés à l’abandon.

Quelles sont les grandes leçons de la crise des « gilets jaunes » ?

Au delà de la défiance à l’égard des institutions, l’autre facteur qui peut contribuer à expliquer ce mouvement des « gilets jaunes » est d’ordre civilisationnel. Il est lié au sentiment de solitude dans nos sociétés postindustrielles. Les « gilets jaunes » avaient en commun l’expression d’une solitude au travail avec une surreprésentation des catégories populaires dans le tertiaire, très peu encadrées par les normes sociales traditionnelles de l’entreprise ou par les syndicats. Les chauffeurs-routiers, les aides-soignants étaient très présents sur les ronds-points. En revanche, les ouvriers des bastions industriels traditionnels étaient moins impliqués et les syndicats ont été mis à distance de ce mouvement.

Le sentiment de solitude s’est retrouvé dans les territoires parfois transformés par les métropoles.  On trouve dans toutes nos études un sentiment de solitude beaucoup plus important dans les villes de taille intermédiaire où il y a eu une désindustrialisation, une érosion des services publics et aussi une perte des services de proximité. Le point commun des « gilets jaunes » est souvent leur solitude.

À un moment vous indiquez dans l’ouvrage que « la crise économique et sociale que nous vivons a aussi produit une violente désocialisation des classes populaires », que voulez-vous dire ? 

La désocialisation des catégories populaires est liée au passage d’une société de classe à une société d’individus isolés. Les forces populistes ne sont pas juste « un accident » de l’histoire. Elles sont liées à la transformation de nos sociétés. Autrefois, les ouvriers pouvaient parler de monde ouvrier et se reconnaître dans des idéologies communes. Dorénavant, les individus ne se reconnaissent plus dans des destins collectifs. Ces phénomènes sont liés aux transformations du monde du travail et celles des territoires dans le contexte d’une société postindustrielle.

Pourquoi dites-vous que c’est la variation du taux de chômage qui est important et pas forcément son niveau ?

En étudiant les régions européennes après la crise financière, nous avons montré que la crise financière a eu des impacts profonds et persistants dans des pays à faible taux de chômage sur la montée des forces antisystèmes. Les citoyens sont plus sensibles aux variations de leur revenu ou de leur environnement économique plutôt qu’à leur niveau en particulier dans une situation de pertes économiques. C’est un phénomène très bien étudié en économie du bien-être. Les êtres humains sont moins sensibles au niveau de leur revenu ou la taille de leur appartement qu’à leur variation.

Confiance, revenus, diplômes, patrimoine, qu’est-ce qui distingue les électeurs de Mélenchon et ceux de Le Pen ?

La différence du rapport à autrui peut aider à comprendre les différences entre les électeurs de la droite populiste et ceux de la gauche radicale. Les premiers ont généralement un rapport plus dégradé à autrui avec une défiance pas uniquement vis à vis des immigrés. Il y a par exemple une très forte corrélation entre leur faible tolérance à l’homosexualité et celle liée à l’immigration.

Pourquoi les électeurs de Le Pen ne sont pas davantage favorables à la redistribution ?

Les classes populaires qui se tournent vers la droite populiste ne sont pas en demande de redistribution parce que dans leur solitude et leur rapport blessé à autrui, ils ne font plus du tout confiance dans un projet collectif. Ils ne font plus confiance à l’État-providence pour redistribuer efficacement. Ils se défient des « assistés », des pauvres comme des immigrés.

Après la crise des « gilets jaunes », comment faire pour redonner de la confiance aux citoyens ?

Face à la montée des totalitarismes dans les années 1930, les États ont mis en place des réponses adaptées en termes de fiscalité ou d’État-Providence au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Si la redistribution est encore importante, elle ne suffit plus. Le ressentiment des classes populaires est très lié à la solitude qui les amène à ne pas supporter la redistribution. Il faut s’attaquer aux causes de cette solitude dans les sociétés postindustrielles. Je pense qu’il faut favoriser l’émergence de nouveaux lieux de socialisation au travail. Un nouveau syndicalisme de service doit également se développer. Il est nécessaire de retrouver des lieux de socialisation dans les territoires, et pas seulement des services publics. Les résultats de notre enquête indiquent que les manifestations des « gilets jaunes » sont d’une ampleur beaucoup plus importante dans les territoires qui ont perdu de nombreux commerces de proximité, des supérettes, des restaurants ou des lieux culturels. L’absence d’établissements scolaires ou de santé dans ces territoires a également des répercussions.

Le dernier levier fondamental repose sur l’éducation. Dans une société où la religion a perdu du terrain en particulier le catholicisme en France, les idéologies ont perdu de leur force, la confiance reste la valeur essentielle pour faire société. Elle se construit dès le premier âge, en particulier à l’école. Il faut travailler sur une école de la confiance avec des méthodes pédagogiques adaptées. La France est un cas particulier. 75% des lycéens déclarent prendre des notes au tableau en silence et 70% déclarent n’avoir jamais travaillé sur des projets collectifs. Les méthodes pédagogiques doivent favoriser le développement de compétences sociales et la capacité à coopérer dans nos sociétés.

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(*) Les origines du populisme, enquête sur un schisme politique et social. Yann Algan, Elizabeth Beasley, Daniel Cohen, et Martial Foucault. Éditions du Seuil, collection La République des Idées (août 2019), 208 pages, 14 euros.

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