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Affaire Benalla : le Sénat a-t-il dépassé ses prérogatives ? (Dominique Rousseau, professeur de droit)

Affaire Benalla : le Sénat a-t-il dépassé ses prérogatives ? (Dominique Rousseau, professeur de droit)

 

 

Le Sénat a-t-il dépassé ses prérogatives comme l’indique le premier ministre ? Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université de Paris I  Panthéon Sorbonne, donne son interprétation sur France Info

Le Sénat a-t-il porté atteinte à la séparation des pouvoirs en émettant des propositions sur l’organisation de l’Elysée ?

Dominique Rousseau : Non, on ne peut pas parler ici d’atteinte à la séparation des pouvoirs. Il y aurait atteinte à la séparation des pouvoirs si le Sénat demandait des comptes sur le contenu de la politique du président de la République, s’il remettait en question des mesures qu’Emmanuel Macron a prises comme la suppression de l’impôt sur la fortune ou la hausse des droits universitaires pour les étrangers. Mais là, le Sénat se contente de faire des recommandations sur l’organisation de l’Elysée en pointant des dysfonctionnements, et en préconisant davantage de transparence. Ces recommandations concernent uniquement l’administration de la présidence de la République. Donc, elles ne portent pas atteinte à la séparation des pouvoirs.

De la même façon, et au nom de la même conception de ce qui relève ou non de la séparation des pouvoirs, j’ai défendu une interprétation de la Constitution selon laquelle Emmanuel Macron pouvait être auditionné par la Commission d’enquête du Sénat. Que dit en effet l‘article 67 de la Constitution? Il dit que le président de la République ne peut être auditionné ni par une juridiction, ni par une autorité administrative. Une commission d’enquête du Sénat n’est ni l’une ni l’autre. Et le président est bien le responsable en dernière instance de l’administration de l’Elysée, au-dessus du secrétaire général. On ne lui demande pas des comptes sur la politique qu’il conduit, mais sur l’organisation de son administration.

Donc, selon vous, le Sénat ne sort pas de son rôle ?

Non, pas plus que le président de la République ne porte atteinte à la séparation des pouvoirs quand il prône la diminution du nombre de députés ou de sénateurs, ou quand il veut accélérer le processus législatif ou interdire le cumul des mandats.

Personne n’a poussé les hauts cris à ce moment-là, et le principe de la séparation des pouvoirs, à juste titre, n’a pas été évoqué. Les sénateurs n’ont pas à reprocher au président de s’immiscer dans les affaires du Parlement parce qu’il veut diminuer le nombre de parlementaires. De la même façon, le Sénat ne sort pas de son rôle quand il parle d’éthique ou de droit du travail dans l’organisation de l’Elysée.

Pourquoi le Sénat s’attire-t-il les foudres du gouvernement ?

Il faut rappeler que la fonction première du Parlement n’est pas de voter la loi, mais de contrôler l’action de l’exécutif et l’utilisation des deniers publics. Avec la commission d’enquête sur l’affaire Benalla, le Sénat retrouve cette fonction du Parlement oubliée trop longtemps. Comme l’Assemblée nationale est soudée à l’exécutif par la grâce du scrutin majoritaire à deux tours [qui facilite les majorités tranchées, d'autant plus depuis que les législatives sont organisées dans la foulée de la présidentielle depuis l'instauration du quinquennat en 2002], le contre–pouvoir passe nécessairement par le Sénat.

Or le Sénat, lui, ne donne pas de majorité automatique à l’exécutif et c’est vrai depuis longtemps. C’est le Sénat qui se mobilise pour fait tomber le général De Gaulle en 1969, avec Alain Poher prenant la tête du « cartel des non » au référendum [perdu par le général De Gaulle et portant précisément sur la réforme du Sénat]. Et faire le tomber le général De Gaulle, ce n’était pas rien ! C’est le Sénat encore qui a bloqué les réformes voulues par le président François Mitterrand sur l’extension du référendum.

Ce contre–pouvoir a constamment provoqué l’irritation de l’exécutif contre une chambre qu’il n’a jamais réussi à contrôler. Car le Sénat a toujours été dans l’opposition à l’exécutif, parfois sous une forme forte, comme on l’a vu avec le général De Gaulle, parfois sous une forme plus douce, comme c’était le cas contre Valéry Giscard d’Estaing. Tous les contre–pouvoirs agacent, mais sans contre–pouvoirs, il n’y a pas de démocratie.

 

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