« Rompre avec la théorie économique dominante » (Jacques Perrin)

« Rompre avec  la théorie économique dominante » (Jacques Perrin)

Une réflexion intéressante de l’économiste Jacques Perrin dabs le Monde qui rappelle la distinction à faire entre valeurs d’échange et valeurs d’usage. Reste que pour l’instant on se limite à l’évaluation des économies à travers la valeur des biens échangées et toutes les politiques macro-économiques mais aussi sociales sont fondées sur ce concept. On voit mal comment pourrait se soustraire à la régulation par le marché qui ne prend en compte que les valeurs d’échange à moins de rééquilibrer ce marché par une régulation qui ne passe pas uniquement par les prix et la fiscalité.

« Un litre de gazole et un litre de Coca-Cola ont aujourd’hui quasiment le même prix, mais ont-ils la même valeur économique ? Après le premier étonnement suscité par la question, et sachant que les conséquences économiques et humaines d’une pénurie de pétrole ne sont pas les mêmes que celles d’une pénurie de Coca-Cola, la plupart des personnes que l’on interroge ainsi répondent assez spontanément qu’un litre de gazole n’a pas la même valeur économique qu’un litre de Coca. En revanche, pour la pensée économique dominante, qui enseigne que la valeur économique des biens et des services est donnée par leur prix, le litre de gazole et le litre de Coca ont bien la même valeur économique.

Cette affirmation théorique repose sur plusieurs croyances. La première est de croire que la valeur économique d’un bien ou d’un service peut être identifiée à sa seule valeur d’échange (son prix), gommant ainsi les aspects d’utilité et de valeur d’usage. La révolte des « gilets jaunes » témoigne avec force qu’un litre de gazole n’a pas la même valeur économique pour chacun d’entre nous : par exemple, il a plus de valeur pour une personne payée au smic et qui n’a pas d’autres moyens de transport que sa voiture que pour une personne ayant le même revenu mais pouvant utiliser des transports en commun.

La deuxième croyance est de nous considérer tous comme des Homo economicus, c’est-à-dire comme des agents cherchant à satisfaire individuellement leurs besoins en ayant à leur disposition toutes les informations pour faire des choix rationnels.

Dans un monde de plus en plus interdépendant, on ne peut plus penser la valeur économique à l’échelle d’un individu et par rapport à un seul bien ou service pris isolément, surtout lorsqu’il s’agit d’un bien comme l’énergie. Comme le rappellent les économistes institutionnalistes, ce qui est décisif, ce n’est pas que l’individu ait des besoins, mais que des hommes, liés socialement, aient des besoins.

Il faut rappeler que le pétrole, ressource énergétique non renouvelable et productrice de gaz à effet de serre, a structuré depuis des décennies nos modes de production et d’organisation de la division du travail au niveau international, et qu’il a aussi structuré nos façons de consommer, de se loger, de se déplacer, et plus généralement d’organiser nos territoires. Depuis des décennies, le prix du pétrole sur le marché international n’a jamais traduit la place structurante et grandissante qu’il prenait dans les économies des pays développés, il n’a jamais permis de prendre en compte sa valeur économique sociétale. »

 

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