«Mouvement des gilets jaunes » : « des conséquences catastrophiques » ? (CCI France)
Le président de CCI France, Pierre Goguet, alerte sur les conséquences à long terme du mouvement des gilets jaunes sur l’économie tricolore. Il a sans doute raison d’autant que le moral des entreprises et des ménages s’écroule. Tout cependant est loin de venir du blocage des gilets jaunes. La principale raison, outre la dégradation de l’environnement international, tient dans l’échec de la politique économique qui a tué notamment la croissance avant même le début du mouvement des gilets jaunes. (Interview dans le journal la Tribune)
Quelles sont vos principales inquiétudes sur le plan économique ?
PIERRE GOGUET - Actuellement, nous sommes dans une période cruciale pour le commerce où l’activité économique est importante. A l’approche de Noël, les commerçants ont commencé à faire des stocks pour pouvoir vendre. Mais s’ils ne peuvent plus vendre comme les années précédentes, ils pourraient être confrontés à des problèmes de trésorerie rapidement. Ces difficultés concernent toutes les tailles d’entreprise. Ces confrontations médiatisées peuvent également jouer sur l’attractivité du commerce. Il y a aussi des conséquences dans les services, l’industrie ou les chaînes de logistique.
Quels pourraient être les secteurs les plus pénalisés selon vous ?
Depuis la diffusion des images des affrontements sur les Champs-Elysées durant le week-end dernier, l’économie française pourrait connaître de vraies difficultés sur le tourisme. De nombreuses familles étrangères pourraient annuler leurs voyages et leurs chambres d’hôtel au moment des fêtes de Noël. Tout le commerce en lien avec l’activité saisonnière des fêtes de fin d’année pourrait être pénalisé. Il y a beaucoup de commerçants qui font la moitié de leur chiffre d’affaires sur cette période. Les conséquences pourraient être catastrophiques si elles étaient amenées à durer.
Avez-vous eu des remontées précises de la part de votre réseau de chambres implantées dans les régions ?
Notre réseau consulaire nous permet d’avoir des enquêtes flash sur l’ensemble du territoire avec des retours quasi-permanents. Notre rôle est d’écouter et d’apaiser nos entrepreneurs et nos commerçants, même si c’est difficile en ce moment, et on a des cellules spécifiques dans les chambres implantées en région qui sont mobilisées. Grâce à ce réseau, on a enregistré des chutes d’activité très précises dans des hypermarchés ou dans des zones commerciales.
Un magasin Décathlon à Nantes a perdu par exemple 200.000 euros de chiffre d’affaires en une journée. Dans la région Grand-Est, PSA n’a pas pu produire 1.500 voitures qui étaient prévues la semaine dernière à cause de la logistique. Au niveau de l’île de La Réunion, nous avons reçu des alertes extrêmement fortes. C’est un avantage d’être connecté avec notre réseau d’élus qui sont issus du commerce, de l’industrie ou des services. Nos interlocuteurs nous demandent de relayer toutes ces inquiétudes auprès des pouvoirs publics.
Vous avez évoqué récemment les risques d’un affaiblissement des corps intermédiaires dans un tweet. Pouvez-vous apporter des précisions sur cette remarque ?
Les 70 observatoires du commerce que nous avons à travers le territoire sont extrêmement utiles. Si un réseau comme le nôtre n’est plus aussi présent grâce à toutes ces organisations professionnelles, l’exaspération des entrepreneurs victimes d’une dégradation de leurs marchandises ou qui n’ont plus accès à leur site, pourrait prendre de l’ampleur. Le danger est de revenir à une forme de poujadisme où les commerçants iraient jusqu’à s’organiser eux-mêmes pour essayer de défendre leurs activités. Certains indépendants risquent la survie de leur commerce et l’emploi de leurs salariés.
Est-ce que vous êtes régulièrement en relation avec le ministère de l’Economie ?
Nous diffusons régulièrement à nos ministères de tutelle des comptes rendus que l’on met à jour quasi quotidiennement. Je crois que ça remonte l’Elysée. Ce réseau local montre toute son utilité pour rassurer les entreprises et peut être force de proposition sur les mesures d’accompagnement.
Justement, quels sont les types de solution ou de réponse à apporter ?
A partir du moment où nous sommes dans des zones affectées, où il y a une entrave à la libre-circulation et à l’accès, je pense qu’il faut envisager un échelonnement des cotisations sociales et fiscales des entreprises touchées. Elles comptaient sur les ventes de cette période pour refaire leur trésorerie. Dans le réseau des CCI, nous avons des dispositifs qui peuvent être activés. On a système qui s’appelle « alerte commerce » dans une soixantaine de chambres qui consiste à alerter les commerçants dans des zones très précises sur un éventuel danger ou des problèmes d’accessibilité.
Si des commerçants ont été entravés dans leurs activité, il serait intelligent de permettre aux commerçants qui le souhaitent d’avoir des journées d’ouverture complémentaires au mois de décembre pour tenter de rattraper le chiffre d’affaires qu’ils ont perdu et écouler les stocks qu’ils n’ont pas vendus. Le nombre de jours d’ouverture le dimanche est limité malgré tout. Les commerçants qui le souhaitent devraient pouvoir ouvrir leur magasin ce jour-là.
Pour ceux qui ont subi le plus de préjudices, il faut envisager des mesures d’indemnisation pour que les entreprises survivent. Beaucoup de petits commerçants n’ont pas d’assurance pour des pertes d’exploitation. Il faut encore pouvoir démontrer le lien de causalité entre le préjudice subi et la situation. A la Réunion par exemple, des commerçants ont sollicité la mise en place d’un fond d’indemnisation.
Ces réponses sont loin d’être complètes. Nos chambres vont travailler sur des questions de solidarité territoriale. L’idée est que les écosystèmes d’entrepreneurs détectent les entreprises les plus fragilisées à l’issue de ces événements là et essaient de les aider en participant au remplissage des carnets de commande quand c’est possible. Ce sera des mesures au cas par cas.
Quelles pourraient être les conséquences à plus long terme ?
À plus long terme les problématiques sont plus liées à des enjeux de compétitivité-coût. Des entreprises se heurtent parfois à des salariés qui sont confrontés à des problématiques de pouvoir d’achat notamment dans les zones rurales liées à la hausse des produits pétroliers et aux taxes. Cela se traduit par des demandes d’augmentation de salaires. Des entreprises pourraient être ainsi confrontées à des sollicitations. Or les mêmes entreprises subissent aussi les coûts de l’énergie. Dans un contexte où les marges peuvent être altérées par ces phénomènes combinés à une hausse des salaires, les entreprises pourraient avoir des difficultés. Ce mouvement traduit enfin de vraies fractures entre les territoires, entre les zones rurales et les territoires métropolitains.
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