Etats-Unis : un protectionnisme inacceptable »( Maroš Šefčovič )
Maroš Šefčovič vice-président de la Commission européenne en charge de l’union énergétique, dénonce dans une interview à la Tribune les récentes décisions du président américain sur les exportations européennes d’acier, ou sur l’Iran, la veille d’un G7 qui s’annonce tendu.
Vous venez d’annoncer une série d’investissements pour renforcer l’union énergétique européenne… L’enveloppe allouée est substantiellement augmentée par rapport au plan précédent. Est-ce que cela signifie que l’Europe est en retard ?
MAROŠ ŠEFČOVIČ - Nous avons beaucoup progressé avec le plan précédent. Nous avons investi dans le hardware, c’est-à-dire les interconnexions et autres infrastructures. Il est clair que nous devons poursuivre cet effort pour atteindre 10% d’interconnexions en 2020 et 15% en 2030. Ces investissements seront également nécessaires pour les gazoducs si nous voulons sécuriser et faciliter nos flux énergétiques, avec notamment la possibilité d’établir des flux inversés. Mais nous voulons également investir dans les réseaux digitaux et le stockage d’énergie. C’est pourquoi nous avons décidé d’augmenter de 47% nos investissements, soit 42,3 milliards d’euros. Nous espérons que 60% de cette ligne d’investissements sera mis au service de nos objectifs climatiques.
Vous voulez dire que la Commission européenne favorisera les énergies renouvelables à d’autres…
Ces investissements doivent permettre de faciliter la circulation des énergies en Europe. Cela signifie que ce sera favorable aux énergies renouvelables puisque cela résoudra en partie le problème de leur intermittence. Par exemple, s’il y a beaucoup d’éoliennes en Europe du Nord, mais pas assez de demandes d’énergie, alors la demande en Europe du Sud pourra récupérer cette production d’énergie que nous pouvons encore mal stocker. C’est donc très favorable aux énergies renouvelables.
Vous avez également plaidé pour développer une filière plus ambitieuse en matière de batteries électriques, qui seront nécessaires demain notamment pour l’industrie automobile. Vous-même avez utilisé une formule pour illustrer cette ambition, vous aviez lancé le projet d’un Airbus des batteries… L’Europe n’est-elle pas en retard dans ce domaine, voire très en retard par rapport aux pays asiatiques ?
J’avais effectivement utilisé cette formule d’Airbus des batteries pour permettre de mieux visualiser ce qu’un tel projet pouvait apporter. Il est vrai que l’Europe est en retard. Nous produisons encore trop peu de batteries… Je vois par exemple qu’à Bruxelles, les taxis commencent à rouler avec des voitures BYD (marque chinoise de voitures électriques, Ndlr), c’est un symbole qui nous oblige à réagir. La raison de ce retard, c’est que les constructeurs ont pensé qu’ils pourraient continuer avec des moteurs thermiques pendant encore très longtemps. Mais les problèmes de pollution et plus encore, le scandale des diesels truqués, ont fait basculer l’opinion et les politiques publiques. Mon idée d’un Airbus des batteries a été lancée en octobre… Depuis, nous avons bien avancé et je peux vous dire que nous sommes, en Europe, aujourd’hui dans une véritable dynamique de travail sur ce sujet. J’ai récemment participé à l’inauguration de ce qui pourrait devenir, je l’espère, la première gigafactory européenne. Elle a été installée en Suède par Northvolt. Ce projet a été soutenu par la Banque européenne d’investissement, mais également avec des aides officielles locales. Enfin, la Commission européenne a classé la production de batteries comme sensible et stratégique pour notre continent. Cela signifie qu’elle mettra tout en œuvre pour encourager son développement. L’enjeu est énorme. Nous avons estimé qu’en 2025, le marché européen des batteries électriques s’élèvera à 250 milliards d’euros, soit 200 gigawatts. Nous estimons que le marché mondial s’élèvera à 600, voire 900 gigawatts. Nous allons donc avoir besoin de dizaines de gigafactory si on veut devenir leaders.
Le prix des batteries ne cesse de baisser… Ne craignez-vous pas de reproduire le fiasco de l’industrie photovoltaïque ?
Nous sommes dans une période stratégique en matière de batteries électriques… C’est pourquoi nous l’avons élevée au rang de priorité pour l’industrie européenne. Notre rôle consistera à imposer des standards qui permettront de constituer une filière totalement propre. Nos standards s’assureront que l’énergie pour fabriquer ces batteries sera propre. Ils imposeront des obligations en matière de recyclage, y compris des métaux précieux. Je veux une batterie verte et soutenable. L’Europe est la mieux placée pour cela parce qu’elle a le meilleur mix énergétique du monde. Il faut maintenant que les constructeurs automobiles prennent conscience de cela et participe à cette dynamique.
L’Europe est guettée par d’autres incertitudes nuisibles au commerce… Notamment par les décisions prises par l’administration de Donald Trump. Cette semaine, le groupe PSA a décidé de suspendre ses activités en Iran, et quelques jours auparavant, c’est la filière européenne de l’acier qui était frappée par des taxes… Comment réagissez-vous ?
Nous avons basculé dans une nouvelle étape des relations internationales. Nous travaillions jusqu’ici dans une situation où le droit prévalait, avec un respect absolu pour les règles convenues et garanties par l’organisation mondiale du commerce (OMC, Ndlr).
Aujourd’hui, notre partenaire traditionnel a décidé de ne pas respecter les accords internationaux en place, que ce soit sur le dossier iranien ou sur le libre-échange. C’est une situation nouvelle qu’il était impossible d’anticiper il y a encore un an. Nous avons déployé d’importants efforts diplomatiques auprès des États-Unis pour leur expliquer que notre attachement à l’accord avec l’Iran n’était pas seulement pour protéger nos entreprises, mais d’abord une question de sécurité internationale, et européenne plus particulièrement. Il est évident que l’Europe va faire tout son possible pour prévenir toute prolifération nucléaire au Moyen-Orient.
Mais l’annonce par Donald Trump de se retirer de cet accord met en péril l’équilibre que nous avions trouvé avec l’Iran.
L’Europe peut-elle toutefois protéger ses entreprises contre le risque de sanctions prises par un pays tiers?
Nous allons tout faire pour les protéger, étudier toutes les possibilités juridiques qui permettront de les rassurer. Nous avons déjà pris une décision d’urgence en actualisant le mandat de la Banque européenne d’investissement pour permettre à l’Iran d’être éligible pour les activités d’investissement. C’est une possibilité que la Banque peut décider, ou non, d’utiliser. Nous avons également activé le dispositif que nous avions appliqué dans le cas de Cuba et qui permettait de protéger nos entreprises du risque de sanctions américaines.
De même, nous avons aussi réagi aux tarifs douaniers appliqués sur nos produits en acier en lançant nous-mêmes des taxes douanières sur une liste de produits américains. Notre partenaire fait preuve d’un protectionnisme inacceptable, l’Europe ne peut pas être traitée ainsi. Nous sommes mécontents d’en arriver à une telle situation parce qu’à chaque fois que des mesures protectionnistes sont prises, c’est des échanges en moins, et de la croissance en moins pour tout le monde.
Avez-vous le soutien de tous les chefs d’État et de gouvernement dans votre démarche?
Nous avons le soutien entier de tous les chefs d’État et de gouvernement.
Ne craignez-vous pas qu’une guerre commerciale pousse certains pays membres à appliquer eux-mêmes des mesures protectionnistes qui conduiraient à l’explosion de l’Union européenne?
Au contraire, je pense que cette politique conduira l’Europe à renforcer ses liens et à être plus unie que jamais.
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