Italie : un enjeu pour la pérennité de l’Europe
Stéphanie Villers, chef économiste chez Humanis, souligne l’enjeu que constitue l’Italie pour l’union européenne et notamment la zone euro. (‘Interview la Tribune)
« Il serait bien malhabile de croire que l’Italie risque de subir le sort de la Grèce. Bien au contraire, la Péninsule a, aujourd’hui, les cartes en main pour imposer davantage de souplesse dans les traités et plus de solidarité face aux défis exogènes. Ainsi, la coalition « improbable » entre un mouvement antisystème M5S et un parti populiste de la Ligue, dispose d’un pouvoir de nuisance et de persuasion vis-à-vis de Bruxelles, que les partis traditionnels et les petits pays de la zone n’ont pas. Rappelons que la victoire de cette coalition résulte de l’incapacité de la zone euro de s’emparer du problème migratoire que subit l’Italie.
Les dirigeants italiens ont, pourtant, maintes fois, alertée contre la menace que constitue le flux de migrants sur leur territoire et des risques encourus à moyen terme. Or, la zone euro est restée muette, mettant en exergue une incohérence insoutenable entre la nécessité de poursuivre la rigueur budgétaire et les conséquences notamment financières de l’arrivée massive de réfugiés en provenance d’Afrique et du Proche-Orient.
En toute logique, il semble difficilement conciliable d’imposer le respect des règles en matière de déficits alors que le pays connaît une croissance atone depuis près de deux décennies et fait face à une vague migratoire exponentielle, imposant de nouvelles dépenses de structure et d’accueil.
Cette attitude de Bruxelles est d’autant plus inappropriée que le pays a réalisé de réels efforts pour maintenir son excédent primaire depuis la crise de 2011. En clair, en dépit du ralentissement économique, le solde budgétaire hors intérêts de la dette est resté positif. L’Italie perçoit des recettes (impôts et taxes) supérieures à ses dépenses.
Ses partenaires européens ne peuvent donc pas accuser l’Italie de mener un train de vie disproportionné. Seule la dette publique demeure à des niveaux inquiétants. Représentant plus de 130% du PIB, elle est le résultat des politiques passées et ne préjugent en rien des efforts actuels fournis.
Dans ce contexte, Bruxelles ne pourra pas contraindre l’Italie, 3e puissance économique de la zone euro, comme ce fut le cas pour la Grèce. Le rapport de force n’est plus le même et le risque de contagion est tel qu’il va obliger la Commission européenne à se montrer plus souple et plus conciliante. Il en va de la légitimité de la zone euro et de sa pérennité. Bruxelles et la BCE ne peuvent se permettre de laisser se développer une crise tous les 5 ans.
En revanche, les solutions européennes au problème italien demeurent limitées. La BCE a déjà injecté près de 4000 milliards d’euros sur les marchés obligataires européens. Compte tenu de l’amélioration globale de la situation économique de la zone, l’Institut a annoncé la fin progressive de son Quantitative Easing (QE). Il serait, dès lors, malvenu d’annoncer un prolongement de sa politique monétaire ultra-accommodante au-delà de 2018. L’Allemagne s’y opposerait catégoriquement.
Au demeurant, l’Italie, qui dégage un excédent primaire, conserve des petites marges de négociation sur le front budgétaire. Bruxelles pourrait ainsi accepter temporairement de laisser filer les déficits publics italiens afin de soutenir la croissance. Cet ajustement conjoncturel pourrait apporter une bouffée d’oxygène à l’économie locale et relancer progressivement la machine. Ajoutons toutefois que la réforme des retraites avec l’abaissement de l’âge de départ ne paraît pas acceptable, compte tenu de la déformation de la courbe démographique et du vieillissement de la population.
La zone euro doit, de même, proposer des solutions pour sortir de l’impasse migratoire. L’absence de réponse politique lors du prochain conseil européen, en juin, aurait des conséquences dévastatrices pour l’Italie mais aussi l’Europe. Le projet du budget de l’Union Européenne pour la période 2021-2027 prévoit une allocation de 13 milliards d’euros pour la défense et la protection des frontières. Même si c’est une première, ce montant reste clairement insuffisant, compte tenu de l’ampleur des enjeux. Les partenaires de la zone euro, ceux qui partagent le pacte de stabilité et ses contraintes, doivent offrir une issue financière pour que l’Italie puisse sortir de l’impasse.
Ne rien faire sur le problème migratoire et arc-bouter sur le respect des critères de Maastricht vis-à-vis de l’Italie, qui s’est montrée jusqu’à présent bon élève dans la gestion de la crise de la dette souveraine, serait pour les pays membres de la zone euro une prise de risque imprudente et insouciante. Elle pourrait remettre en cause la pérennité de la zone euro. »
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