Banlieues : « Attention aux effets d’annonce » (Bruno Beschizza)
Bruno Beschizza, maire Les Républicains d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis se méfie des effets d’annonce. Après le rapport Borloo. Interview JDD.
« Près de 6 millions d’habitants vivent dans une forme de relégation » voire, parfois, « d’amnésie de la Nation », écrit Jean-Louis Borloo dans son rapport. Le rejoignez-vous sur son constat?
Le propos est excessif, mais il cherche à éveiller les consciences, quitte à provoquer, afin de susciter une réaction. Jean-Louis Borloo propose, le gouvernement dispos. Quand on connaît l’ancien ministre, on sait qu’il cherche par sa présentation à accrocher. Après, sur le fond, je suis globalement d’accord avec le constat. Et la plupart des propositions qu’il fait vont dans le bon sens. Ma principale crainte, c’est le plan à plusieurs milliards d’euros souhaité par Jean-Louis Borloo.
48 milliards d’euros d’investissements de la part de l’Etat, des collectivités locales et des entreprises privées, c’est une enveloppe considérable…
Je fais partie de ces maires qui, ont, en tant que candidats aux municipales de 2014, défendu le bilan de l’Anru 1 [le dispositif lancé par Jean-Louis Borloo en 2004 et qui a créé l'Anru, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, NDLR]. J’ai cru en l’Anru 2, le programme de renouvellement urbain lancé par François Hollande en 2014. A l’époque, 5 milliards d’euros était annoncés. J’ai cru en Emmanuel Macron qui, en novembre dernier à Clichy-sous-Bois, chez nous en Seine-Saint-Denis, a annoncé que le budget de l’Anru 2 passerait de 5 à 10 milliards d’euros. Mais ces chiffres faramineux ne se traduisent pas sur le terrain. En 2020, au moment des prochaines municipales, il n’y aura toujours aucune réalisation concrète dans le quartier classé « Anru 2″ de ma ville d’Aulnay.
Qu’est-ce qui bloque?
L’argent n’arrive pas pour des raisons essentiellement administratives. L’Anru est devenue un monstre technocratique. J’ai fait une dizaine de comités d’engagement où le maire se retrouve à expliquer et réexpliquer ses projets pour ensuite devoir mandater des bureaux d’études, puis créer des services pour gérer les procédures. Aujourd’hui, quand je vais dans le quartier classé « Anru 2″, je ne peux pas dire « ça, c’est un projet qu’a permis l’action de l’Etat ». Jean-Louis Borloo, dans son rapport, indique qu’il faut d’abord terminer la rénovation des quartiers de « l’Anru 1″ puis de « l’Anru 2″. Mais dans certains cas, cette rénovation n’a même pas commencé! Si déjà une enveloppe de dix milliards d’euros ne trouve aucune traduction dans le réel, pourquoi promettre plus?
Le problème vient-il de la seule agence Anru?
La complexité administrative est à tous les niveaux. Nous devons par exemple détruire une barre d’immeuble à Aulnay. Ça fait deux ans que le projet est annoncé, mais nous avons des problèmes de marchés publics, de délais, de décisions administratives… Et pendant ce temps-là, les habitants attendent et ne comprennent pas. Les quartiers populaires sont qualifiés par Jean-Louis Borloo de territoires extra-ordinaires, mais l’Etat leur applique tous les blocages administratifs du droit commun. Bien sûr qu’il faut repenser la structure de l’Anru, mais il y a un problème, plus général et très français, de normes trop lourdes. Résultat : on ne participe pas à recrédibiliser la parole politique auprès des citoyens.
Le gouvernement a déjà entrepris plusieurs réformes, comme le dédoublement des classes de CP en zones d’éducation prioritaire ou encore la mise en place de la police de sécurité du quotidien (PSQ). Quel bilan faites-vous de ces mesures?
Ce sont de bonnes mesures et je suis le premier, bien que je ne sois pas de leur camp politique, à avoir proposé ma ville pour les expérimenter. Mais le dédoublement des classes de CP, ce n’est pas seulement trouver des professeurs en plus. Il faut aussi faire des travaux dans les écoles. L’Etat demande aux collectivités de les faire, alors qu’il nous retire de l’argent par ailleurs. Aulnay fait partie des laboratoires de la PSQ. Celle-ci a été annoncée le 15 août 2017, mais elle a été repoussée en octobre 2017. En février dernier, on nous a dit que concrètement, tout ça ne se fera qu’au mois de septembre 2018. Non seulement les effets d’annonce ne suivent pas, mais ils font perdre du crédit à l’élu local qui s’est engagé en soutenant ces processus.
Jean-Louis Borloo émet notamment l’idée d’une académie des leaders inspirée de l’ENA. Faut-il faire émerger une élite des quartiers?
Le constat est juste : peu de hauts fonctionnaires ont un vécu des quartiers ou des villes populaires. Mais je crois quand même dans le concours à la française. De plus, de nombreux dispositifs existent déjà, comme les cadets de la République [pour devenir gardien de la paix, NDLR], les internats d’excellence ou la formation Sciences Po [pour les jeunes issus des banlieues]. Et presque à chaque fois, la logique financière a abouti à un flop. Plutôt qu’un dispositif novateur, commençons d’abord par mettre de l’argent pour faire avancer ce qui existe.
Dans cette logique, pronostiqueriez-vous l’échec du prochain plan banlieues?
Si j’étais pessimiste, j’aurai déjà démissionné comme Stéphane Gatignon [le maire de Sevran, en Seine-Saint-Denis, a quitté ses fonctions avec fracas le 27 mars dernier, NDLR]. Ce n’est pas le cas. De plus, je n’aime pas les gens qui vivent sur l’idée que rien n’a été fait. Ce n’est pas vrai. Beaucoup d’argent public a été donné, investi depuis 2004. Et les choses évoluent. Il ne faut pas noircir le tableau. En revanche, au-delà des problèmes financiers et technocratiques, l’Etat n’a pas mesuré, et ne mesure peut-être pas encore, l’ampleur du retard pris.
Y a-t-il eu un rendez-vous raté entre Emmanuel Macron et les banlieues?
Moi, je me retrouve, en tant qu’élu Les Républicains, entre mon parti qui ne parle que de la France rurale et un Président qui ne s’adresse qu’aux grandes métropoles. De nombreux responsables au pouvoir, opposition comprise, ne connaissent pas, n’ont pas l’expérience des quartiers populaires. Certes Emmanuel Macron n’a jamais vécu en banlieue, mais même autour de lui, dans son gouvernement, personne ne comprend une partie de la population. Prenons l’exemple d’un Julien Denormandie [le secrétaire d'Etat qui chapeaute notamment le dossier du logement, NDLR] : il a une belle mécanique intellectuelle, mais il lui manque un vécu d’élu local.
Et vous diriez la même chose de Laurent Wauquiez?
Je ne suis pas convaincu que les instances dirigeantes de mon parti soient capables de parler des villes populaires. Le sujet ne doit d’ailleurs pas être abordé de manière partisane.
Dans son rapport, Jean-Louis Borloo reprend à Manuel Valls l’expression « apartheid » en évoquant « les idées d’inégalité des sexes et de séparation des genres dans l’espace public ». Ce mot vous choque-t-il?
Ce mot m’a toujours gêné. Il est tellement fort, connoté qu’il amène toujours à un débat caricatural. Quand Manuel Valls a utilisé ce mot, en janvier 2015, il parlait du problème de la reconstitution de l’offre [du logement social]. Alors Premier ministre, il défendait l’idée de reconstruire un logement social détruit en dehors du quartier dans lequel il se trouvait. Jean-Louis Borloo utilise aujourd’hui ce mot pour faire de la communication, pour choquer. Moi, je n’ai pas envie de le faire. Tout comme je souhaite bannir du débat des mots comme « stigmatisation ». Oui, nous avons aujourd’hui de l’illettrisme et même de l’illectronisme [une méconnaissance d'Internet et de maîtrise de l'information numérique, NDLR]. Oui, nous avons des inégalités entre les sexes, des problèmes de mobilité chez les femmes. Arrêtons d’utiliser des mots qui renvoient nos quartiers à l’image d’un zoo.
6 propositions à retenir du rapport Borloo :
- Relancer tous les projets de rénovation urbaine, à l’arrêt faute de budgets
- Doubler le nombre d’apprentis et d’alternants en trois ans et déployer à titre provisoire 720 conseillers supplémentaires de Pôle emploi
- Créer 30.000 postes et 300 maisons d’assistantes maternelles
- Développer la télémédecine et ouvrir 200 maisons de santé supplémentaire
- Ouvrir une Académie des leaders, une sorte d’ENA des banlieues
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