Fin du modèle agricole français ?
Dan un article de la Tribune Xavier Hollandts, Kedge Business School et Bertrand Valiorgue, Université Clermont Auvergne estime que c’est la fin du modèle agricole français. Il prévoit une sorte dualisme avec des exploitations familiales centrées sur des productions de qualité et des firmes industrielle capitalistes et fortement informatisées voire automatisées. En gros, la qualité des petits pour satisfaire la demande des consommateurs et la quantité médiocre et à bas prix pour les marchés mondiaux. Une typologie qui ouvre quand même les portes à l’appropriation de la terre et du patrimoine par la finance qui serait servie l’informatisation. Bref un modèle encore plus productiviste ; Un article un peu trop techno qui fait un peu l’impasse sur la pénétration du numérique même dans les plus petites exploitations et qui minimise la problématique environnementale.
« L’agriculture hexagonale offre un bilan de santé contrasté. Si la France compte des champions agro-industriels, des entreprises intermédiaires et des startups qui bénéficient d’une excellente compétitivité sur des marchés mondialisés, plusieurs signaux d’alerte montrent que le secteur vit des mutations profondes et souvent douloureuses.
De nombreuses exploitations sont aujourd’hui en détresse et un agriculteur sur quatre vit en France sous le seuil de pauvreté. Les raisons de cette paupérisation sont bien connues : elles tiennent à la fois à la dérégulation des marchés agricoles et, surtout, à la très inégale répartition de la valeur dans les filières agricoles et alimentaires.
Les récents États généraux de l’alimentation (EGA) ont été l’occasion d’identifier différentes pistes de réformes pour les années à venir. Ces grandes orientations laissent toutefois de côté trois mutations majeures qui méritent d’être analysées en détail. Elles imposent également une nécessité : changer de paradigme en matière de politiques publiques pour favoriser la diversité des agricultures françaises.
Pour la première fois dans l’histoire du secteur agricole naissent de véritables empires, développés par des investisseurs privés et extérieurs à ce milieu. Comme l’ont bien résumé François Purseigle et ses co-auteurs dans le récent ouvrage Le nouveau capitalisme agricole, nous sommes en train de passer de la « ferme à la firme agricole ».
Alors que pendant des décennies, le modèle agricole de référence reposait sur des structures de production familiales, on observe aujourd’hui la multiplication de formes non familiales d’organisation du travail, d’importantes levées de capitaux et des stratégies commerciales totalement inédites. Le modèle dominant de la ferme familiale cède la place ainsi à l’entreprise agricole qui vise à répondre à une demande mondialisée. Ceci est particulièrement vrai dans des secteurs où les produits agricoles sont des commodités (des produits standards et homogènes), où seul le prix bas compte.
Cette émergence d’un capitalisme agraire mondialisé et les transformations des structures de production agricoles posent de nombreuses questions au sujet de la construction de la souveraineté alimentaire des pays, mais également sur les modes de production des denrées alimentaires.
Ainsi, que faut-il penser du rachat de terre à grande échelle de la part d’investisseurs chinois qui expédient ensuite dans leurs pays d’origine les denrées agricoles produites en France ? Ces investissements, s’ils devaient se généraliser, tendraient à faire de la France le « grenier » de puissances étrangères.
En parallèle, le métier d’agriculteur est en train de fortement évoluer, notamment sous l’influence de la révolution numérique. Aujourd’hui, seuls 12 % des exploitations ne possèdent aucun objet connecté. On parle souvent de smart farming pour désigner cet univers numérique qui accompagne désormais le quotidien des agriculteurs : puces électroniques, données en temps réel, drones, robots de traite, tracteurs connectés et pilotés par satellite, plateformes et pilotage à distance des exploitations. Les objectifs sont évidents : produire plus et mieux tout en consommant moins d’intrants (et donc en diminuant aussi les coûts).
On voit également apparaître l’intelligence artificielle sur les moissonneuses-batteuses. Elles intègrent des éléments topographiques grâce au positionnement GPS ainsi que les données de rendement des années précédentes.
L’analyse de ces données en temps réel permet à la machine d’adapter les réglages sur plusieurs de ses organes (battage, séparation, nettoyage) pour optimiser différents paramètres (débit, qualité, propreté, pertes). Les robots conversationnels ou « chatbots » constituent une autre déclinaison de l’intelligence artificielle pour les agriculteurs. En élevage, les premiers assistants virtuels sur smartphone aiguillent les éleveurs dans leur choix de taureau, facilitent la commande d’insémination, contrôlent les déclarations de sortie d’animaux.
Objets connectés et intelligence artificielle vont bouleverser comme jamais le métier d’agriculteur.
Depuis plusieurs années, les consommateurs exigent une plus grande transparence et traçabilité des produits agricoles, renouant ainsi avec une tradition pas si lointaine où l’on consommait localement ce qui était produit localement.
Cette demande s’exprime parfaitement à travers les circuits courts, ou encore le regroupement de producteurs en vente directe ou bien la création de mini-marchés locaux ou de paniers paysans (la Ruche qui dit Oui, les AMAP, etc.). Par ailleurs, l’émergence de plateformes transactionnelles change la donne car elles facilitent et sécurisent grandement la mise en relation entre producteurs et consommateurs. Cette transformation est regardée de très près par des géants du web comme Amazon ou encore le Chinois Alibaba, qui voient dans cette mutation des modes de consommation une opportunité majeure de profit.
Les grandes villes n’échappent pas à ce phénomène puisque de nouveaux types d’agriculteurs investissent les espaces urbains. On parle désormais d’une « agriculture urbaine » pour désigner l’appropriation de territoires urbains parfois délaissés ou rendus à une vocation agricole.
Pour répondre à ces mutations, l’agriculture française doit répondre à trois enjeux majeurs.
Elle doit d’abord réussir son tournant numérique. La digitalisation des métiers ne se décrète ni ne s’impose. Il faut donc accompagner les paysans français dans cette évolution désormais inéluctable. Les coopératives, qui regroupent 75 % du monde agricole, sont particulièrement attendues sur cette question.
Il faut ensuite faire évoluer les modèles économiques en étant réellement transparent sur l’origine des produits et la répartition de la valeur, comme les débats menés dans le cadre des États généraux de l’alimentation l’ont souligné. Les initiatives couronnées de succès, telles que La Marque du consommateur, Merci ou Faire France, montrent que l’on peut avoir une consommation citoyenne et engagée dans notre pays quand la vérité sur les prix agricoles est assumée. Demain, il faudra mieux former les agriculteurs au management, au marketing et à l’informatique.
Enfin, répondre au défi démographique et professionnel. Si la surface agricole française n’a pas reculé, le nombre d’exploitations en France a été divisé par deux depuis les années 1980. Il en résulte de véritables difficultés autour de l’installation ou de la reprise d’exploitations agricoles. À moins de laisser l’initiative à des investisseurs privés étrangers, la France doit pouvoir compter sur un renouvellement des générations afin de maintenir une présence humaine et agricole sur ses territoires. Le rôle des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (comme les Safer) devra être redimensionné et modernisé.
Une interrogation essentielle demeure : quels modèles agricoles les pouvoirs publics souhaitent-ils promouvoir ? Quelles initiatives doivent-ils encourager pour assurer un revenu aux agriculteurs et une alimentation durable et saine aux consommateurs ?
Depuis les années 1950, les pouvoirs publics ont globalement privilégié une orientation productiviste des fermes familiales. Il s’agissait de gagner l’indépendance alimentaire du pays et de maintenir un modèle d’agriculture séculaire.
Comme le souligne le sociologue Bertrand Hervieu, cette vision de l’agriculture reposait sur un postulat de base : l’activité agricole est par excellence une activité à caractère familial, censé se déployer dans un cadre national. Ce modèle universel de l’agriculture, c’est celui d’un adossement des fermes familiales à une industrie agroalimentaire puissante, offrant des progrès technologiques constants.
Les pouvoirs publics ont favorisé ce modèle à travers une politique volontariste et homogène qui a poussé les fermes familiales à se restructurer en continu pour gagner sans cesse en productivité. L’Europe prit le relais à travers la politique agricole commune (PAC), toujours dans le même esprit : ferme familiale productive – industrie agroalimentaire compétitive – souveraineté alimentaire des pays.
Les transformations actuelles font voler en éclat ce paradigme : la ferme familiale est en voie d’extinction, les consommateurs sont moins préoccupés par l’abondance que par la qualité des biens alimentaires, les marchés agricoles sont mondialisés et l’État, comme l’Europe, n’ont plus les moyens de subventionner. Face à ces mutations, l’erreur à ne pas reproduire de la part des pouvoirs publics serait de privilégier, comme par le passé, un modèle unique, au motif qu’il serait souhaitable ou plus performant sur la scène internationale.
Avant de proposer des solutions globales, il apparaît plus que nécessaire de reconnaître et d’accompagner la diversité des différents modèles agricoles français. Il faut éviter une vision homogène de l’agriculture et promouvoir un accompagnement différencié de la part des pouvoirs publics. Les enjeux agricoles ne se posent pas de la même manière en Haute-Loire, en Aquitaine ou dans la plaine de la Beauce. Les pouvoirs publics gagneront à se rapprocher des collectivités territoriales (régions, départements, métropoles) pour mettre en place des dispositifs d’accompagnement localement adaptés.
Dans les années qui viennent, on devrait pouvoir évoquer non pas le Salon international de l’agriculture, qui ouvre ses portes ce samedi 24 février, mais bien le Salon international des agricultures et de l’alimentation durable.
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Par Xavier Hollandts, Professeur de Stratégie et Entrepreneuriat, Kedge Business School et Bertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises – co-titulaire de la Chaire Alter-Gouvernance, Université Clermont Auvergne
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation