Macron : derrière le président, la figure du roi (Philippe Raynaud)
Ce que pense Philippe Raynaud, professeur de science politique à l’université de Paris II-Panthéon-Assas, qui parle de son dernier livre dans une interview à 20 Minutes
Quelle est l’ambition de ce livre évoquant la « révolution » d’Emmanuel Macron ?
J’ai publié il y a un an un livre sur l’esprit de la Ve République, qui était une réflexion sur la transformation du système politique depuis 1958. Avec ce nouvel ouvrage, je prolonge mes analyses, notamment sur la crise du système bipartisan. La supériorité d’Emmanuel Macron réside dans le fait qu’il a mieux compris cette crise politique que les autres candidats à la présidentielle.
« La révolution d’En Marche se situe à l’intersection de 1789 et la tradition whig » en Angleterre. Que voulez-vous dire ?
Durant la campagne électorale, Emmanuel Macron a établi un lien entre la société [contemporaine] et celle de l’Ancien régime en crise. Il a par ailleurs organisé un clivage entre progressistes et conservateurs, sur le modèle des whigs [libéraux] contre les tories [conservateurs] dans l’Angleterre des XVIIIe et XIXe siècles : il a opposé l’élite des villes et la bourgeoisie en province, l’innovation contre la tradition, la finance contre la rente foncière… Je prends un exemple pour illustrer cette structuration : la réforme de l’ISF, l’IFI, voulue par Emmanuel Macron, cible la fortune immobilière, pas les capitaux mobiliers [dividendes ou intérêts].
Selon vous, « Emmanuel Macron pense que la République n’a jamais remplacé la figure du roi ». Pourquoi ?
Ce n’est pas moi qui parle de cette figure mais Emmanuel Macron lui-même, dans une interview à Le 1 durant la campagne. D’un côté, il se place dans une tradition présidentielle, voire présidentialiste de la Ve République tant par sa culture que son parcours technocratique. Mais il a aussi un imaginaire favorable à certains souvenirs de la monarchie. On l’a vu ensuite avec l’utilisation du château de Versailles, ou encore le rétablissement des chasses présidentielles à Chambord. Emmanuel Macron ne souhaite pas une restauration de la monarchie, mais il pense que le règlement violent et radical de cette question sous la Révolution pose toujours problème. Il pense qu’il faut aujourd’hui des substituts à cette figure.
Vous estimez que le président peut « réaliser l’essentiel de son programme car à terme, les batailles politiques à venir se joueront davantage sur les questions identitaires qu’économiques ». Pourquoi ?
Pour l’instant, Emmanuel Macron a triomphé d’obstacles jugés auparavant insurmontables. L’opposition à la loi travail n’a pas été immense, et il n’apparaît pas, aujourd’hui, que la sélection à l’université va engendrer un grand mouvement d’opposition. Mon hypothèse est qu’il peut réussir l’essentiel de son programme socio-économique si la conjoncture économique est favorable, mais cela ne neutralisera évidemment pas toute l’opposition conservatrice. Celle-ci estime que le succès d’Emmanuel Macron n’empêchera pas le ressentiment et qu’elle peut fédérer dans cette situation. Le cas du président polonais Lech Kaczyński [2005-2010] est ici exemplaire. Ce dernier, conservateur, a été élu alors que le gouvernement précédent avait une économie saine. On peut donc imaginer ce scénario d’un retour des conservateurs après Emmanuel Macron, sans qu’il y ait de crise économique aux effets importants. Ce qui se passe avec les populismes en Europe centrale montre que cette situation n’est pas qu’une théorie.
Pourquoi rappeler que le dieu Jupiter, dont Emmanuel Macron est fan, n’est pas le seul dieu du panthéon ?
C’est une remarque. Jupiter est le premier des dieux mais ce n’est pas un dieu unique. S’il transcende l’opposition, toutes les sphères d’opposition ou de valeurs ne lui sont pas soumises. Je souhaite rappeler que Jupiter est puissant, mais qu’il n’est pas le seul dieu.
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