Sortir de la stérile lutte des classes (Lemaire) –
Bruno le maire, ministre de l’économie, révèle ses principales préoccupations dans une interview à la tribune (extrait)
BRUNO LE MAIRE - Mon rôle ici à Bercy est d’accomplir la transformation économique de la France, pour pouvoir annoncer de bonnes nouvelles. Les meilleures, ce serait qu’il y ait enfin du travail pour tous dans notre pays ; ce serait que ceux qui payent le tribut le plus élevé au chômage, les jeunes les moins qualifiés, puissent trouver leur place dans la société ; ce serait enfin que l’économie française réalise pleinement son potentiel.
Avec les difficultés, les références de gauche et de droite pourraient bien faire leur retour. Comment vous situerez-vous alors ?
Nous sommes dans une période de recomposition complète de notre vie politique. Elle est encore inachevée et va se poursuivre. Jamais je n’aurais envisagé d’entrer au gouvernement sans avoir la légitimité que donne l’élection. Les Français, au fond, se moquent de savoir si l’on vient de la droite ou de la gauche : ils demandent des résultats et c’est cela qui compte pour moi. Dans ma circonscription, je ne me suis pas retrouvé opposé à la droite ou à la gauche mais aux extrêmes. Cela a été le cas dans beaucoup de circonscriptions en France. Face à ce risque, nous n’avons pas le droit d’échouer.
L’audit de la Cour des comptes a mis en évidence un grave dérapage des comptes publics en critiquant sévèrement la gestion Hollande. Quelles mesures allez-vous prendre pour tenir l’objectif d’un déficit inférieur à 3% dès 2017 ?
Notre niveau de dépenses publiques est un des plus élevés d’Europe (56,2 % du PIB), et nous avons pourtant un niveau de chômage parmi les plus hauts et un taux de croissance parmi les plus bas. Vous le voyez donc : la voie du « toujours plus de dépenses publiques » est une impasse. À nous de le faire comprendre et d’opérer une vraie transformation culturelle. La deuxième erreur à ne pas renouveler, c’est de penser que l’on peut corriger nos déficits en augmentant les impôts et les taxes. Non ! Augmenter les impôts est une solution de facilité. Le seul choix courageux, c’est de réduire la dépense publique. J’insiste sur ce point : pas de nouveaux impôts ! C’est une promesse du président de la République. C’est pourquoi il n’y aura pas de projet de loi de finance rectificative cet été.
Quelles seront vos priorités entre mesures de compétitivité pour les entreprises et mesures de pouvoir d’achat ?
La transformation de notre culture économique, c’est aussi arrêter d’opposer l’intérêt des salariés à l’intérêt des entreprises. Les deux vont de pair et se rejoignent. Sortons une fois pour toutes de la lutte des classes ! Une entreprise qui se porte bien peut redistribuer la richesse produite à ses salariés. Je souhaite donc que l’on avance sur deux jambes. Dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, il faudra supprimer toutes les charges sociales salariales sur la maladie et le chômage, pour que les salariés puissent avoir en 2018 une amélioration visible de leurs revenus. Pour les salariés du secteur privé, le gain de salaire net sera de 526 euros pour un couple de personnes rémunérées au Smic. Autre exemple, une personne rémunérée 2 000 euros brut par mois bénéficiera d’un gain de salaire net de 355 euros par an. Il faut que chacun constate que le principal changement, dans ce quinquennat, c’est que le travail paye ! C’est la priorité. Mais cela n’interdit absolument pas d’engager les mesures pour permettre à nos entreprises d’être compétitives, notamment la baisse de l’impôt sur les sociétés. Nous souhaitons parvenir en 2022 à un taux de 25 %, ce qui doit être programmé sans attendre.
Cela sera-t-il repris dans les ordonnances sur le travail ?
Dans la réforme du marché du travail, il y a la volonté de valoriser les accords d’entreprise. C’est une façon de reconnaître le dialogue social et une occasion d’améliorer les relations syndicats-patronat dans notre pays. Derrière ces mesures, il y a une vision de la société. Qu’il y ait des désaccords entre des chefs d’entreprise et leurs salariés, c’est normal et naturel. Mais pourquoi ces désaccords se régleraient-ils systématiquement dans le conflit ? Nous quittons cette culture du conflit pour aller vers une culture du dialogue, qui existe dans des pays voisins et donne de bien meilleurs résultats. C’est la méthode voulue par le président de la République et conduite par le Premier ministre. Parce que conflit veut dire perte de temps, épuisement des personnes, angoisses sur l’avenir, tout ce qui, à mon sens, affecte la société française et que nous devons transformer. Nous y parviendrons en rétablissant la confiance entre les Français.
Quels atouts ? Notre image à l’étranger souffre de notre fiscalité et de notre droit du travail trop lourds…
Nous allons agir, en baissant la fiscalité des entreprises, en allégeant les charges sur les salaires, en réformant le marché du travail, mais aussi par des mesures spécifiques, comme le développement des classes bilingues dans notre système éducatif et l’ouverture de nouveaux lycées internationaux. L’ISF sera remplacé par un impôt sur l’immobilier, qui ne concernera plus les valeurs mobilières. À New York, ces mesures sur l’amélioration de l’attractivité ont été bien reçues. Les investisseurs ont compris qu’avec l’élection d’Emmanuel Macron, les choses changent en France. Ils attendent des actes concrets : signe de l’importance que le gouvernement accorde à ce sujet, le Premier ministre en personne dévoilera prochainement d’autres mesures concernant spécifiquement la place de Paris.
L’ISF sera bien réformé dès 2018 ?
La réforme de l’ISF sera votée cette année et entrera en vigueur en 2019.
L’Union européenne ne fait plus rêver. Pour autant, ceux qui prônent un repli national ne parviennent pas à séduire une majorité des électeurs. Que peut faire la France pour relancer le projet européen ?
Durant la campagne, Emmanuel Macron a placé l’Union européenne au cœur de son projet. Il a été élu. C’est un fait politique majeur qui permet à la France de jouer à nouveau un rôle de leadership en Europe. L’Union européenne doit se remettre en cause et se transformer pour mieux défendre les intérêts des Européens. C’est en ce sens que nous avons engagé la révision du statut des travailleurs détachés, qui crée des situations de concurrence déloyale dans de nombreux secteurs, comme le transport routier et le BTP. Il est nécessaire de trouver le bon équilibre. Troisième exemple, la Chine, qui veut avoir accès à nos marchés publics mais refuse aux entreprises européennes l’accès aux marchés publics chinois. La réciprocité est nécessaire.
Comment mener une telle intégration politique ?
Il nous faut déjà mieux coordonner nos politiques économiques et budgétaires. Cela veut dire respecter les règles communes, mais aussi que les pays en situation d’excédent utilisent une partie de leur marge de manœuvre pour soutenir la croissance de l’ensemble de la zone. L’Union bancaire est déjà bien engagée, mais il faut aller jusqu’au bout pour permettre un financement efficace des entreprises de la zone euro. Il faut également parvenir à une harmonisation fiscale. Avec Wolfgang Schäuble [ministre des Finances allemand, Ndlr], nous sommes décidés à œuvrer rapidement en ce sens. Au-delà, il faut créer un budget de la zone euro qui permettrait par exemple de financer des infrastructures et d’investir dans un système éducatif harmonisé et dans le numérique. Cet objectif atteint, il faudra logiquement nommer un ministre des Finances de la zone euro. Enfin, il y a la proposition de Wolfgang Schäuble, qui a avancé l’idée d’un Fonds monétaire européen qui s’inspire du FMI. C’est une mesure dont il faut discuter.
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