La révolution de l’ordinateur quantique ?
A ce jour, l’ordinateur quantique en est encore à l’état de prototypes. Au-delà d’IBM, l’université du Sussex (Royaume-Uni) a lancé le 1er février un projet de calculateur quantique capable, espèrent les scientifiques, de résoudre des problèmes complexes qui prendraient des milliards d’années aux plus puissants des ordinateurs actuels. Les applications seraient énormes, à en croire IBM, qui cite la possibilité de découvrir de nouveaux médicaments, de concevoir de nouveaux matériaux, voire de résoudre des mystères de la science. Une nouvelle révolution numérique ? IBM le promet : le premier »ordinateur quantique » sera commercialisé « dans les prochaines années ». L’entreprise informatique l’a claironné dans un communiqué (en anglais), publié lundi 6 mars, dans lequel elle propose également aux développeurs d’écrire des algorithmes pour les faire fonctionner sur son prototype, installé dans la banlieue de New York (Etats-Unis). Une énième annonce dans la course qui voit s’affronter plusieurs grandes sociétés et centres de recherche. Ce super ordinateur serait capable de tout calculer. Tout. En s’appuyant sur les règles de la physique quantique. Pour résumer, les ordinateurs classiques fonctionnent avec des « bits », des informations stockées de manière binaire (avec des 0 et des 1). Avec un ordinateur quantique, on passe aux « qubits », capables d’avoir plusieurs valeurs en même temps. De quoi multiplier de façon exponentielle les capacités de calcul. . Une équipe de chercheurs travaillant pour Google a présenté dans un article les résultats époustouflants d’un ordinateur d’un nouveau genre. Une machine si puissante que cette machine pourrait réaliser, le temps d’un battement de cil, autant de calculs que n’en ferait un ordinateur traditionnel en plus de 10 000 ans. Derrière cette nouvelle incroyable, la société canadienne D-Wave Systems, située à Burnaby, près de Vancouver, détient l’un des secrets les mieux gardés du moment. Elle affirme avoir réussi à fabriquer l’ordinateur dont rêvent tous les informaticiens, capables de résoudre des problèmes jusque-là hors de portée. Pour 15 millions de dollars, elle propose ainsi à la vente depuis plusieurs mois une volumineuse… boîte noire. De nouvelles versions ont même fait leur apparition au coeur de l’été après les modèles à 84, 128 puis 512 qubits. La société a annoncé en juin l’arrivée du 1000 qubits ! Les qubits sont capables de prendre deux configurations simultanément, là où les bits de nos ordinateurs classiques ne peuvent prendre qu’une valeur. Et cette étrange possibilité leur confère une incroyable rapidité : « avec des bits classiques, on ne peut faire qu’un calcul à la fois, c’est très différent avec les qubits. Avec 300 qubits, on peut faire 2300 calculs en même temps!« , précise Alexandre Blais, de l’université de Sherbrooke (Canada). Soit un nombre gigantesque à 91 chiffres ! Ce qui revient à dire que pour le même calcul complexe, là où un ordinateur classique mettrait 2300secondes — un temps égal à plus de cinq fois l’âge de l’Univers — son cousin quantique y passerait 600 secondes soit 10 minutes. Époustouflant ! Que pourrait-on résoudre grâce à de telles performances ? L’exemple souvent annoncé est celui de la « factorisation »», indispensable à la cryptographie, mais l’ordinateur quantique serait également très précieux pour une autre classe de problèmes allant de l’optimisation instantanée d’un ensemble de satellites face à une éruption solaire, à la gestion des données pour faire circuler des voitures autonomes, ou encore le pilotage de l’électronique de bord d’un avion de chasse devant optimiser ses frappes en situation de combat… La liste est longue, sans oublier la gestion d’un réseau complexe d’autobus dans une mégalopole. « Il s’agit à chaque fois de trouver la configuration pour laquelle l’énergie à dépenser est minimale », explique David Poulin, membre de l’Institut transdisciplinaire d’information quantique (Intriq) québécois. Ainsi, de très nombreux paramètres entrent en jeu pour gérer les 64 lignes de bus circulant à Paris: les embouteillages, la fréquence de chaque ligne, le nombre de passagers à embarquer ou débarquer, l’emploi du temps de chaque conducteur, etc. L’optimisation de ce problème à un grand nombre de variables reviendrait ainsi à minimiser le coût de l’exploitation. La question hante donc tous les esprits : D-Wave a-t-elle réellement réussi l’exploit de créer l’ordinateur capable de telles performances ? Pour l’heure, « la plupart des spécialistes doutent« , tempère Alexandre Blais, qui mène aujourd’hui ses recherches à l’Intriq. Un doute partagé par son collègue David Poulin qui, comme l’ensemble des experts mondiaux, souhaiterait que des tests indépendants puissent être effectués. Mais D-Wave a toujours refusé de divulguer les détails de ses calculs. « Un test a bien été entrepris par le physicien Matthias Troyer, de l’École polytechnique fédérale de Zurich (Suisse) pour comparer le temps de calcul entre un ordinateur classique et celui de D-Wave. Il n’a détecté aucune accélération quantique ! Mais les responsables de l’entreprise ont rétorqué que le type de problème avait été mal choisi« , raconte David Poulin. Quoi qu’il en soit, réellement quantique ou non, l’ordinateur de D-Wave a d’ores et déjà réussi une autre performance : donner la fièvre aux spécialistes, les lançant dans une course effrénée aux enjeux commerciaux considérables. « Nous préférons désormais déposer des brevets plutôt que publier des articles comme c’est de règle dans le domaine académique, affirme ainsi Michel Pioro-Ladrière, qui développe des processeurs quantiques au sein d’Intriq. « Dans les congrès de spécialistes, il y a beaucoup d’entrepreneurs, confirme David Poulin. Rien qu’au Canada, Mike Lazaridis l’ex patron de Blackberry a mis 500 millions de dollars de sa poche pour les recherches dans ce domaine. » Le Canada est en effet en très bonne position dans cette course, talonnée par les États-Unis et la Chine, loin devant la France. Le pays affiche la volonté politique de relever le défi avec, entre autres, Intriq et IQC (Institute for Quantum Computing) à Waterloo, dans la province de l’Ontario. Si IQC a bénéficié des largesses de Mike Lazaridis, la recherche académique n’est pas en reste : fin juillet le gouvernement fédéral a investi 33,5 millions de dollars dans les travaux menés à l’université de Sherbrooke. Car bien des obstacles sont à franchir pour mettre au point un ordinateur dont les propriétés seraient indiscutablement quantiques. Toute la difficulté consiste en effet, non seulement à obtenir un qubit, mais à maintenir son caractère quantique le plus longtemps possible. En théorie, la recette est simple : il faut trouver un support macroscopique — c’est-à-dire manipulable — qui obéisse aux lois de la mécanique quantique qui ne s’applique habituellement qu’à l’infiniment petit, le monde subatomique (lire l’encadré en bas d’article). Sans quoi, impossible de garantir le principe de superposition, la spécificité du qubit ! Dans le jargon, c’est la « décohérence », entraînée par exemple par la moindre augmentation de température. C’est pourquoi le calculateur de D-Wave se présente avant tout comme un réfrigérateur fonctionnant à quelques millikelvins (-273 °C environ). « Le but est d’obtenir un temps de cohérence — c’est-à-dire le temps où cet état de superposition est maintenu — plus important que le temps de calcul », rappelle Michel Pioro-Ladrière. Or, à cette température, tous les matériaux ne se valent pas. L’équipe canadienne poursuit donc deux pistes : l’aluminium et le silicium. « L’aluminium que nous utilisons est extrêmement pur. Il est déposé sur un substrat en saphir, le tout étant refroidi à quelques millikelvins« , explique Alexandre Blais. Or, à ces températures, l’aluminium devient supraconducteur, c’est-à-dire qu’il n’oppose aucune résistance au passage du courant, un comportement que seule la mécanique quantique peut expliquer. « Alors l’objet lui-même se comporte comme un seul atome que nous appelons “transmon” dans lequel circulent des paires d’électrons qui adoptent un comportement quantique », poursuit le chercheur.
(Sciences avenir)
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